蜜桃交友

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani 鈥� Cité du Vatican

Vingt ans dans une banlieue HLM de Mulhouse, deux ans dans une maison d鈥檃ccueil pour migrants à Calais (la Maison Maria Skobtsova), et depuis un an, le 17ème arrondissement de Paris, avec des allers-retours réguliers à Calais où elle poursuit son engagement: pour s艙ur Joëlle Staquet, de la communauté des Petites s艙urs de l鈥�Évangile de Charles de Foucauld, l鈥檋orizon de la mission est celui de villes françaises marquée par la diversité des origines, des milieux sociaux et des religions.

La vie de prière et de communauté intense de la religieuse est ponctuée par un travail salarié à mi-temps dans le domaine sociale, ainsi que cette mission d鈥檃ccueil des personnes migrantes. Chaque s艙ur de cette congrégation fondée en 1963 par le père René Voillaume, et dont la spiritualité s鈥檌nspire de saint Charles de Foucauld, mêle ainsi contemplation et service des plus démunis.

Comme l鈥檈xplique le Pape François dans son de ce 18 octobre, l鈥檃ppel à la mission se présente comme une «opportunité de partage, de service, d鈥檌ntercession. La mission, que Dieu confie à chacun, fait passer du "moi" peureux et fermé au "moi" retrouvé et renouvelé par le don de soi». «Dans la mission d'annoncer l'Évangile, écrit-il encore, vous vous mettez en mouvement parce que l'Esprit Saint vous pousse et vous porte». Une vision qui rejoint particulièrement l鈥檈xpérience de s艙ur Joëlle.

Avant tout, la mission d鈥檃nnoncer d鈥�Évangile, c鈥檈st le travail de l鈥橢sprit. C鈥檈st l鈥橢sprit Saint qui travaille en nous qui nous pousse et nous porte à vivre d鈥檜ne certaine manière, à nous engager dans la vie religieuse. Et c鈥檈st l鈥檈nsemble de cette vie donnée avec joie qui est mission et aussi annonce, tout particulièrement dans la vie religieuse. Ce n鈥檈st pas faire des choses, ce n鈥檈st pas mettre en 艙uvre des 艙uvres, c鈥檈st avant tout une vie à la suite du Christ et à l鈥�écoute de l鈥橢sprit au quotidien qui annonce quelque chose de l鈥�Évangile.

La pandémie pour moi a fait bouger les lignes. On s鈥檈st rendu compte que l鈥檕n pouvait changer dans nos vies: au niveau du travail on a pu se réorganiser autrement; nous-mêmes, en fraternité, on a pu vivre les choses autrement. On a donc une capacité de bouger, de changer, de s鈥檃dapter, de répondre autrement aux besoins des gens. Pour moi c鈥檈st un grand enseignement de la pandémie, et qui continue.

Pouvez-vous nous partager une expérience marquante que vous avez vécue concernant la mission, cet aspect missionnaire?

Un des aspects de notre vie de petite s艙ur de l鈥�Évangile, dans la manière de vivre la mission, c鈥檈st une attention particulière à la vie spirituelle des petits et des pauvres. C鈥檈st là pour moi un des dangers d鈥檜ne Église qui a moins de moyens 鈥� comment peut-on rester toujours attentives à la vie spirituelle des petits et des pauvres? Je pense particulièrement aux migrants: on pense souvent à leur donner à manger, à les nourrir, à leur donner un toit, mais a-t-on le souci de la vie spirituelle des personnes que l鈥檕n accueille? C鈥檈st l鈥檈xpérience que j鈥檃i faite à Calais de manière forte, en étant attentive notamment à la vie spirituelle de la communauté érythréenne, en les aidant à célébrer leurs grandes fêtes de Pâques et de Noël. J鈥檃i beaucoup reçu de cette expérience de la foi partagée.

Justement, partager sa foi en France, aujourd鈥檋ui, est un vrai défi. On observe un recul de la pratique religieuse, l鈥�Église catholique est vraiment minoritaire鈥� Quel regard portez-vous sur cette situation?

Pour moi, c鈥檈st une réalité à accueillir, c鈥檈st un accueil du réel. En même temps, je regarde cela avec espérance: c鈥檈st différent d鈥檃vant, mais qu鈥檈st-ce qui ressort de bon, comment cela avance? Il y a des choses que je trouve belles, comme le fait que, de plus en plus, la foi chrétienne est un choix personnel, avec un engagement, une réelle expérience de Dieu. Un des points qui, en tant que petite s艙ur de l鈥�Évangile, me pose plus question, c鈥檈st le fait que nous avons un appel particulier à l鈥�évangélisation des petits et des pauvres, et quand l鈥�Église devient moins nombreuse, avec moins de moyens, elle a naturellement tendance 鈥� et c鈥檈st normal 鈥� à regrouper ses forces, et à ne plus avoir cette possibilité d鈥�être plus attentive à ceux qui sont à la marge. C鈥檈st vraiment un point auquel il faut faire attention.

Là où vous vivez, qu鈥檈st-ce que vous expérimentez de la rencontre avec des personnes d鈥檃utres religions?

Pour moi, ce n鈥檈st pas simplement une théorie, c鈥檈st avant tout éviter de s鈥檈nfermer dans son 鈥減etit monde鈥� catholique. Avoir des amis d鈥檃utres religions, cela change notre regard. Avoir des liens avec des gens d鈥檃utres obédiences est quelque chose de fort. À Calais c鈥檈st une expérience forte avec différentes personnes, mais sur tous les lieux de travail actuellement, on a des collègues qui sont d鈥檃utres religions ou sans religion, cela fait partie du quotidien.

C鈥檈st un peu le charisme réactualisé de saint Charles de Foucauld. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce charisme vécu aujourd鈥檋ui?

Il y a deux aspects chez Charles de Foucauld: d鈥檃bord le partage de la vie des gens, et l鈥檈xpérience forte que j鈥檃i faite à Calais 鈥� un partage de vie pendant deux ans dans une maison d鈥檋ospitalité avec les migrants 鈥� était une manière très concrète de vivre ce charisme aujourd鈥檋ui. Il ne s鈥檃gissait pas simplement de distribuer des repas ou de faire des choses, ce qui est important pour eux, mais d鈥檜n partage au quotidien, qui crée une autre relation, une autre manière de voir les choses. J鈥檃i aussi prié avec eux pendant longtemps.

Un autre aspect est d鈥�être 鈥渇rère de tous鈥�. C鈥檈st vraiment une transformation, liée l鈥檈xpérience intense de Dieu qui nous rend frères. En partageant la vie des migrants, en priant avec eux, il y a une expérience qui nous rend frères au-delà de nos différences. C鈥檈st cela qui est fort dans notre charisme.

Si l鈥檕n revient au thème du message de la Journée Missionnaire Mondiale, «me voici, envoie-moi»: comment cela s鈥檈st-il manifesté dans votre vie?

Quand j鈥檃i vu cette phrase, je me suis dit que ça n鈥檃vait pas été comme cela pour moi. Je préfère l鈥檌nvitation de Jérémie, qui dit devant le Seigneur qui l鈥檃 appelé: «moi, je ne sais pas parler, je ne suis qu鈥檜n enfant, ça n鈥檌ra pas, je ne peux pas y aller», plutôt que de dire «me voici, envoie-moi». C鈥檈st plutôt mon expérience. Et la réponse du Seigneur est: «tu iras vers tous ceux à qui je t鈥檈nverrai, ne crains pas, car je suis avec toi». Ma réponse et mon histoire ont davantage été en commençant par dire «non», plutôt que de dire «me voici, envoie-moi», mais le Seigneur nous envoie et demeure toujours avec nous, c鈥檈st aussi mon expérience.

Cet appel est une expérience intime dans un lien très fort dans la prière avec le Seigneur. Et tout au long de la vie, c鈥檈st le c艙ur de la mission, cette relation avec le Seigneur. Pour ma part, concrètement, je cherchais une communauté sobre, pauvre, une communauté religieuse avec une vraie vie communautaire, une vie de prière très forte, et aussi un partage de ma foi avec les petits et les pauvres, et un lieu où je puisse être une femme heureuse et une femme libre.

Évidemment la mission nous concerne tous, mais que faut-il aujourd鈥檋ui pour être missionnaire, comment être missionnaire près de chez soi?

Je pense que l鈥檕n est missionnaire quand on fait l鈥檈xpérience d鈥檜n Dieu qui nous aime, et c鈥檈st de cela que l鈥檕n témoigne, d鈥�être aimé de Dieu. Après, chacun à sa manière, avec le don qu鈥檌l a, vivra la mission. Mais sans vie de prière, c鈥檈st difficile, même si chacun a une vocation propre concernant la prière. Mais on est missionnaire, on annonce l鈥�Évangile avant tout parce qu鈥檕n se laisse profondément transformer par cet amour de Dieu et par l鈥�écoute de l鈥橢sprit Saint. Il n鈥檡 a pas d鈥檃utre chemin, et je trouve que dans son message, le Pape le souligne de manière particulièrement forte.