Négociations de paix en Birmanie : le regard d’un missionnaire
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
«Il n’y a pas d’autre voie que celle du dialogue pour en finir avec la guerre en Birmanie» : le rêve de paix du cardinal Bo. L’archevêque de Rangoun a appelé la nation birmane à l’unité en amont de la IVe conférence de Panglong pour le XXIème siècle qui s’ouvre ce mercredi à Naypyidaw, la capitale.
À quelques semaines des élections du 8 novembre, la Prix Nobel Ang San Suu Kyi donne une nouvelle chance à la paix. Ce ne sera pas facile. C’est en effet le troisième cycle de cette conférence de paix depuis l’arrivée au pouvoir de son parti en 2015, et la formation d’un gouvernement civil après des décennies de régime militaire.
Pendant 3 jours, des représentants du gouvernement et des militaires discuteront avec des groupes armés de différentes ethnies d’un accord politique, pour définir les conditions d’un état fédéral démocratique afin de mettre fin aux hostilités en cours dans plusieurs régions du pays.
La première conférence de Panglong, organisée en 1947 par le père d’Aung San Suu Kyi avait déjà le même objectif, nous explique le père Ludovic Mathiou, prêtre des Missions étrangères de Paris, en Birmanie depuis 2017.
«La conférence tient son nom de la première réunion qui s’est tenue en février 1947, juste avant l’indépendance de la Birmanie, à Panglong, une ville de l’État Shan. La Birmanie est une mosaïque d’ethnies. Les principales d’entre elles étaient alors réunies pour voir comment le pays allait évoluer une fois qu’il serait indépendant. En 1947, l’idée était de faire une union avec un État fédéral, avec même une possibilité d’indépendance pour les États Shan et Kayah. C’est la base sur laquelle s’est construite l’indépendance, mais aucune des promesses faites à ce moment n’a été finalisée et c’est l’origine de la plupart des conflits ethniques aujourd’hui en Birmanie.
73 ans plus tard, le rêve reste-il le même ?
De la part du gouvernement, et surtout d’Aung San Suu Kyi qui l’a redit au moment de l’annonce de cette réunion, il y a vraiment cette envie d’avoir une fédération, un pays uni et en paix. Pour Aung San Suu Kyi, et je pense qu’elle a raison, un des grands facteurs pour la paix consiste à établir cette indépendance des États ethniques. Je pense que oui, l’idée est la même.
Et il faut aussi régler la défiance, voire la haine entre les différents groupes ethniques qui existe en bonne part encore aujourd’hui et s’exprime souvent très violemment dans plusieurs endroits du pays.
Vous parlez de haine ?
C’est peut-être un gros mot… quoique oui je pense qu’il y a de la haine dans certains endroits. Il existe un certain mépris par exemple des Birmans vis-à-vis des minorités ethniques. Souvent les membres de ces minorités ne parlent pas très bien la langue et la plupart des minorités vivent dans la montagne ou dans des coins reculés et il ne sont pas considérés comme des gens disons «civilisés». Donc il y a un certain mépris.
Et en même temps, les minorités ethniques regardent les Birmans comme des envahisseurs. Même dans le langage de tous les jours, on le voit. Dans l’Etat Kayah, ils parlent des Birmans comme de «filous», «des gens qui font des entourloupes». C’est plus que du chauvinisme, il y a vraiment des siècles de différences et de la rancÅ“ur dans certains cas.
De l’importance du dialogue qui s’ouvre…
Oui, c’est déjà pas mal parce que ça n’a jamais été fait jusqu’à présent, ou en tout cas cela n’a jamais abouti.
Est-ce que le fédéralisme peut être selon vous la solution ? Comment lever les obstacles à la paix ?
Comment faire l’unité d’un pays où il y a huit groupes ethniques, chacun divisé en une multitude de groupes avec leur propre langue, leur propre culture, leur propre histoire. Souvent l’histoire de ces groupes entre eux a été la guerre.
Et il y a aussi toute la question de l’époque coloniale qui n’a pas été réglée. Les Shan par exemple étaient totalement indépendants pendant la période britannique et plus maintenant. Il faut résoudre (les problèmes) à la base. Le fédéralisme aiderait, en laissant à chacun sa langue, sa culture et sa religion, en même temps en apportant l’unité du pays autour d’un gouvernement central qui permettrait le développement du pays tout entier. Parce que aucun État n’a les moyens d’être indépendant tout seul. L’État Chin ou je vis, seul il ne pourrait pas s’en sortir parce qu’il n’a pas de ressources, bien qu’il ait une culture propre, et même 60 langues ! Mais le respect des uns des autres, ça aiderait déjà grandement.
Il y a encore 50 groupes armés encore actifs en Birmanie.
C’est à peu près cela. Les plus actifs sont les «Northern alliance» qui est surtout composé de l’Arakan army dans l’état Rakhin au sud de la Birmanie. Il se bat encore. Il y a eu des trêves mais toujours unilatérale, une fois c’est l’armée, l’autre fois ce sont les indépendantistes ou les rebelles qui déclarent un cessez-le-feu. Je regardais dans un journal, en tout il n’y a eu que 225 jours de paix dans l’Arakan depuis 2019. Et on dit qu’en Birmanie, ça fait 70 ans que le pays est en guerre.
Le groupe armé de l’Arakan que vous mentionnez n’a pas été invité à la conférence parce que considéré comme «terroriste» par les autorités. Par ailleurs, sept groupes armés n’ont pas souhaité échanger avec les politiques et les militaires. Dans ce pays qui fut sous contrôle des généraux pendant des décennies, quel rôle peut jouer l’armée pour l’instauration de la paix ?
Elle est plus qu’influente, elle a le pouvoir. L’armée a un rôle très important. Elle a d’ailleurs son représentant lors de la réunion de Naypyitaw. L’armée a 25 % des sièges dans les deux parlements, donc elle peut bloquer toutes les décisions. L’armée nomme par ailleurs le ministère des Affaires intérieures, des Frontières, bien sûr le ministère des Armées. Les gros ministères lui reviennent selon la Constitution. Donc sans l’armée, on peut ne rien faire et je pense que Aung San Suu Kyi compte sur les minorités ethniques et leurs partis politiques pour essayer avoir une majorité au parlement et pouvoir enfin changer la Constitution. C’est un des grands challenges des élections de novembre. Pour pouvoir diminuer le rôle de l’armée, il faut changer la Constitution, mais ce n’est pas gagné.
Donc entre les 25% des parlementaires qui sont nommés par l’armée et le pourcentage -qu’il soit grand ou non- du parti d’opposition formé en majorité de militaires, ils ont forcément la main sur le pouvoir, et notamment dans les zones de conflit qui se trouvent aux frontières ; des zones contrôlées par l’armée et non pas le gouvernement civil.
Récemment des religieux birmans de différentes confessions ont appelé à la suite des Nations unies et du Pape François, à un cessez-le-feu, expliquant que pendant que certains se combattaient, des jeunes se droguaient, s’exilaient, que le développement non seulement était impossible mais que les richesses du pays tombaient dans des mains étrangères. C’est cela l’équation, tant qu’il y a la guerre, aucun développement n’est possible?
Dans l’Etat Chin, il y a la paix, hormis au sud où l’armée de l’Arakan a décidé de conquérir une partie du territoire. Mais (cette équation) est très vraie dans l’État Kachin ou dans certaines régions de l’État Shan, oui, il ne peut pas y avoir de développement parce que les gens sont occupés à survivre au jour le jour. Même planter du riz, c’est impossible à cause des bombardements. Une des sources de revenus pourrait être le tourisme, comme on le voit dans d’autres pays du sud-est, mais il ne peut absolument pas se développer à cause (des conflits). Et puis les richesses sont pillées par les groupes armés, par l’armée nationale ou par nos voisins un peu puissants dans l’état Kachin ou Shan qui sont très riches, mais la richesse ne profite absolument pas, ou à très peu d’habitants. Le cardinal Bo a résumé cela en disant que la Birmanie était un pays riche avec des habitants pauvres, et c’est vrai en particulier dans les États périphériques aux frontières de la Birmanie qui ne peuvent pas se développer à cause de ces tensions ethniques et ces guerres qui se manifestent de temps en temps.
Quelles espérances vous avez pour la Birmanie ?
Il faut déjà espérer que les prochaines élections se passent bien.
Après, il faudra donner du temps à la Birmanie, cela fait 70 ans qu’elle essaie de s’en sortir par elle-même et de trouver une solution à cette crise.
Pour moi, la recherche de l’unité est vraiment une priorité. Au moment de l’indépendance, le Premier ministre avait dit que l’Église était un modèle pour cela. Dans l’Église, c’est le seul endroit où l’on peut voir les différents groupes ethniques prier ensemble, vivre ensemble, surtout dans les grandes villes. C’est moins le cas dans les campagnes qui sont ethniquement plus uniformes. Je pense en effet que l’Église peut donner cet exemple à la fois d’une grande diversité et de l’unité autour du Christ. Si on pouvait appliquer cela au pays, ce serait quand même pas mal.
Et il y a aussi tout le système éducatif qui est à réformer et qui pourrait être un bon moyen pour instaurer l’unité mais cela va prendre beaucoup de temps.
Mais voilà, si ces accords peuvent faire avancer les choses, ce serait très positif pour le pays qui a besoin de se développer et de respirer plus librement.»
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