蜜桃交友

Entretien réalisé par Cyprien Viet 鈥� Envoyé spécial à Bari

De Marseille à Tripoli en passant par Beyrouth, Bagdad ou Barcelone, de nombreuses villes du Bassin méditerranéen sont représentées par leurs évêques, qui témoignent de situations et de défis très différents, mais qui sont conscients de l鈥檌nterdépendance des pays bordant la mer Méditerranée. Ils sont donc soucieux de construire une dynamique de communion plus forte entre eux et entre leurs Églises, mais aussi, plus largement, entre toutes les populations qui partagent cette identité méditerranéenne.

L鈥�Église d鈥橝lgérie, terre des «martyrs du plus grand amour»

Parmi les participants figure l鈥檃rchevêque d鈥橝lger, Mgr Paul Desfarges, qui a témoigné de l鈥檈xpérience de sa petite Église dans un grand pays, l鈥橝lgérie, marquée par de profonds bouleversements depuis quelques mois, avec un mouvement populaire pacifique qui a mis en lumière l鈥檃spiration du peuple à sortir d鈥檜ne logique d鈥檃ssistanat et de clientélisme.

le 8 décembre 2018, la béatification de Pierre Claverie et de ses 18 compagnons, martyrs de la guerre civile algérienne des années 1990, avait rencontré un écho surprenant en Algérie. Cette célébration, à laquelle les victimes musulmanes de ces violences ont été pleinement associées, a permis d鈥檕uvrir un espace de parole et de consolation, 20 ans après une loi d鈥檃mnistie qui a permis de sortir de la guerre mais qui a aussi bloqué la mémoire de ces évènements dramatiques.

Interrogé à  Bari, Mgr Paul Desfarges témoigne de cette opportunité de consolation et de réconciliation que l鈥�Église peut offrir aux peuples de la Méditerranée, en infusant la dynamique de l鈥�Évangile dans des sociétés marquées par le sens de la rencontre et de l鈥檃ltérité.

J鈥檃i été heureux de découvrir combien tous nos pays du pourtour de la Méditerranée sont marqués par ce qui a été appelé ce matin une théologie de la Méditerranée, une culture de la Méditerranée. C鈥檈st peut-être le soleil qui fait ça: nos pays sont dans le soleil au bord de la mer鈥�  ce qui a été noté, c鈥檈st que nous sommes tous marqués par une théologie où la rencontre, l鈥檋ospitalité, la religion populaire, l鈥�émotion, la sentimentalité ont leur place, et moi bien sûr, je me retrouvais bien dans notre Église où la rencontre de l鈥檃utre, où l鈥檃utre partie de notre vie, de  notre identité. J鈥�étais content de sentir que c鈥檈st quelque chose qui se partage sur tout le pourtour méditerranéen. La Méditerranée a été depuis longtemps un lieu de rencontres, d鈥�échanges, de partage, et les pays de la Méditerranée ne pouvaient pas s鈥檌soler les uns les autres, ils étaient tous appelés à vivre ensemble. Chacun garde sa différence, mais en même temps dans la rencontre, c鈥檈st ce qui a été dit ce matin, dans les petits groupes鈥� Peut-être que la Méditerranée est un lieu où a surgi cette théologie de l鈥檜niversalité qui est le c艙ur de l鈥�Évangile. C鈥檈st pour tout homme : tout homme est vraiment frère de tout homme, tout homme est de la même pâte humaine que tous les autres.

Donc j鈥�étais heureux de noter que finalement, nous, notre petite Église, apparemment très minoritaire et un peu spéciale dans sa composition - plutôt étrangère même s鈥檌ls y a quelques frères et s艙urs algériens-chrétiens -, faisait vraiment partie de cet ensemble et que nous avions quelque chose à dire. L鈥檃utre, on ne peut pas vivre sans lui, et vivre avec lui, ça fait du bien, ça ouvre, ça enrichit.

Peut-être que c鈥檈st tout cela qui peut nous aider à perdre nos peurs. Jésus nous a dit : «n鈥檃yez pas peur !», l鈥�Évangile nous dit « n鈥檃yez pas peur!» et nous, Église du pourtour méditerranéen, nous avons envie de dire à nos fidèles et à nos peuples « n鈥檃yons pas peur des autres ». On ne peut que s鈥檈nrichir avec eux.

 Je rebondis sur ce que vous avez dit sur Bari: on sent que le monde est un peu fracturé entre l鈥橢urope, le Moyen-Orient, l鈥橝frique du Nord, qui ont des langages différents, qui n鈥檕nt pas les mêmes codes culturels, et vous parliez justement de la peur. Cette rencontre entre des évêques du Sud de l鈥橢urope, du Nord de l鈥橝frique, du Moyen-Orient鈥� c鈥檈st aussi une occasion de cicatriser, de retisser des liens qui ont pu être blessés par l鈥橦istoire ?

Oui je crois. Ça fait aussi partie de notre vie en Algérie de travailler à la réconciliation des mémoires. L鈥�évocation de nos frères et s艙urs béatifiés participe à cette réconciliation de la mémoire, à cette guérison des blessures, parce que justement nos frères et s艙urs sont morts martyrs, plus du martyre de l鈥檃mour que de la haine de la Foi; [eux qui sont] vraiment des martyrs de l鈥檃mour, du grand Amour, ont pu être associés au martyre d鈥檃utres musulmans et musulmanes, qui eux aussi ont donné leur vie par amour de leurs frères, de Dieu, par leur foi en Dieu, par amour de leur peuple, de leur pays, et qui ont perdu leur vie en fidélité à leur Dieu, à leur foi et à leur pays. Il me parait très important de pouvoir sentir que dans nos pays du Nord et du Sud de l鈥橝frique et de l鈥橢urope, nous avons quelque chose à vivre ensemble. Ce qui nous unit et nous met en communion, ce qui peut guérir, on en a parlé aussi ce matin entre évêques de la Méditerranée, c鈥檈st le pardon. La grâce de l鈥�Évangile, c鈥檈st l鈥�Évangile de la grâce, du pardon, justement. On peut se réconcilier: ne restons pas figés dans nos blessures anciennes. Il faut en parler, il faut reconnaître le mal, le malheur, en le disant.

On peut prendre le chemin de la réconciliation parce qu鈥檈ncore une fois, on a besoin les uns des autres. On ne peut plus s鈥檈nfermer! On voudrait s鈥檈nfermer, mais on ne peut pas. Alors acceptons au contraire de nous ouvrir les uns aux autres.

Dans son discours d鈥檕uverture, le cardinal Bassetti a parlé des martyrs de la Méditerranée et il a cité longuement le testament spirituel de Christian de Chergé. On a beaucoup dit que ces 19 martyrs étaient des modèles pour l鈥橝lgérie, mais finalement ce sont aussi des modèles qui peuvent infuser pour tout le bassin méditerranéen, dans une meilleure compréhension de cette altérité entre chrétiens et musulmans ?

Ça m鈥檃 touché de voir comment le message de la fraternité qui a été délivré sur le siège de l鈥橝lgérie et d鈥橭ran  est diffusé bien au-delà. Ce sont des martyrs de la sainteté de la vie ordinaire, ce que le Saint-Père a appelé «la sainteté de la porte d鈥�à-côté»: ça parle à tout le monde. Nous ne pouvons pas, encore une fois, passer à côté de nos frères et s艙urs avec lesquels nous partageons la vie au quotidien.

Et nos dix-neuf frères et s艙urs martyrs le sont au milieu d鈥檃utres martyrs, qui eux aussi, en ayant une autre foi, vivaient cette même volonté d鈥檃ttacher un prix important à la vie humaine de tout être humain. Et non seulement d鈥檡 attacher du prix, mais de la connaître, de la rencontrer.

Alors oui, j鈥檃i été touché que l鈥檕n en parle autant dans notre rencontre, mais ça ne m鈥�étonne pas: c鈥檈st un beau témoignage pour aujourd鈥檋ui. Encore une fois, ils ne sont pas si extraordinaires que ça, ces 19. Moi je les ai connus: cette sainteté d鈥檋ommes et de femmes qui avaient leurs défauts, leurs difficultés, mais ils avaient donné leur vie à Dieu et ils la donnaient à leurs frères tous les jours, dans la rencontre toute simple鈥� comme beaucoup d鈥檋ommes et de femmes le font tous les jours, sans qu鈥檕n leur fasse de grands discours! C鈥檈st ce que j鈥檃i rappelé ce matin, la spiritualité de la vie ordinaire: prendre un café, se laisser inviter par une famille musulmane avec un ami musulman鈥� on se rend compte qu鈥檕n porte les mêmes soucis, les mêmes inquiétudes, en même temps les mêmes désirs. on a les mêmes soucis de ses enfants, de ses voisins. Rencontrons-nous, accueillons-nous et on pourra avancer. Mais ne nous barricadons pas, c鈥檈st la pire des choses!