蜜桃交友

Camille Mukoso, SJ 鈥� Cité du Vatican

La crise climatique actuelle et la dégradation de l鈥檈nvironnement qui en découle sont deux graves menaces pour l鈥橝frique. Malheureusement, les Africains semblent ne pas avoir conscience de l鈥�épée de Damoclès qui plane sur leur avenir, alors que l鈥檌mpact du changement climatique est déjà perceptible sur le continent : la raréfaction des ressources compromet l鈥檌ndépendance alimentaire et la toxicité environnementale affecte la santé humaine. Que faire pour que le continent qui contribue le moins à l鈥檈ffet de serre ne paie pas le lourd tribut à des dérèglements causés par d鈥檃utres ?

Une idée souvent rependue est que l鈥�écologie est un problème des pays riches. Autrement dit, qu鈥檌l faudrait avoir atteint un certain niveau de vie pour se pencher sur les questions écologiques. Qu鈥檈n dites-vous ?

Si l鈥檕n traite l鈥�écologie comme une science compliquée, avec des termes et des concepts réservés à des initiés, oui. Mais, en fait, l鈥�écologie n鈥檈st pas une connaissance scientifique compliquée. C鈥檈st amplement une manière de vivre et d鈥檈ntrer en relation avec le monde, en le respectant. Dans ce sens, l鈥�écologie concerne tout le monde : riches ou pauvres, croyants ou incroyants, hommes ou femmes, jeunes ou vieux. A titre d鈥檈xemple, un point que nous rappelle l鈥�écologie est que nos ressources ne sont pas illimitées. Le fait de savoir que nous pouvons un jour nous retrouver sans ressources et le fait de chercher à préserver nos ressources actuelles sont une préoccupation de tous : riches ou pauvres, hommes ou femmes, jeunes ou vieux.

Le Pape François affirme que nous avons besoin d鈥檜ne conversion écologique, c鈥檈st-à-dire  changer des perspectives dans notre relation avec la nature. Comment cette conversion peut se matérialiser en Afrique, surtout lorsqu鈥檕n sait que l鈥檌nformation sur l鈥檈nvironnement dans le continent semble réservée à une élite experte ?

La conversion à laquelle le Christ nous appelle quand il annonce le règne de Dieu est une conversion de notre relation avec Dieu, avec la nature (c鈥檈st-à-dire le monde dans sa diversité), avec les autres humains et avec nous-mêmes. Le c艙ur de l鈥�écologie est l鈥�établissement, mieux le rétablissement des relations justes. Et en Afrique, cette question n鈥檈st pas nouvelle. De nombreux contes, proverbes ou interdits montrent à quel point la tradition africaine est soucieuse de l鈥�établissement des relations justes. En Afrique, par exemple, nous nous définissons par les relations que nous entretenons avec les autres et nous ne considérons pas la nature comme quelque chose d鈥檈xtérieur à nous. Au contraire, la nature nous comprend, elle nous inclut. Nous sommes enfants de la terre. Nous sommes dans une relation de profond respect avec chaque être, vivant ou inerte. En chaque être, nous saluons, avec révérence, la présence de Dieu.

Le 1er septembre 2020 a eu lieu la journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création. Elle ouvre le Temps de la Création, qui se tient jusqu鈥檃u 4 octobre, en étant célébré cette année comme un 鈥淛ubilé pour la Terre鈥�. Pour le Saint-Père, c鈥檈st un temps de retour à Dieu, notre créateur bien aimé pour changer nos habitudes vis-à-vis de notre maison commune. Comment rendre ce désir du Pape effectif sur le continent africain ?

Il nous faut, d鈥檃bord, raviver le sens de l鈥檃ppartenance à la terre. Nous sommes enfants de la terre. La terre est notre mère et, par conséquent, les différentes créatures sont nos frères et s艙urs. Ce n鈥檈st pas une invention de Saint-François d鈥橝ssise. La Bible le dit déjà quand elle parle de « récapituler toutes choses dans le Christ ». Eph. 1,10. Le jubilé de la terre est une pratique ancienne. Nos traditions culturales africaines insistent beaucoup sur la jachère, c鈥檈st-à-dire le repos de la terre. Et le livre du Lévitique au chapitre 25 aborde de nombreux aspects du jubilé et du sabbat qui concernent aussi bien la terre, les animaux que d鈥檃utres êtres vivants. Il s鈥檃git donc de sensibiliser nos familles, nos communautés, nos jeunes, nos étudiants, nos élèves, nos paroissiens, nos politiciens même, à vivre une relation renouvelée avec la terre. Ce n鈥檈st pas seulement un désir du Pape qu鈥檌l faut rendre effectif. C鈥檈st une question d鈥檌dentité, une question de survie. Si nous ne changeons pas notre manière d鈥檋abiter la terre, nous perdons notre identité et nous n鈥檃urons pas d鈥檃venir.

Pour le Pape également «la pandémie nous a conduits à un carrefour ». Il est donc temps de faire les bons choix « pour mettre fin à des activités et à des finalités superflues et cultiver des valeurs, des projets génératifs ». Quelles peuvent être les conséquences de la pandémie du nouveau coronavirus sur notre environnement ?

Il nous faudra beaucoup de temps pour réévaluer, à juste titre, les effets de la pandémie de la Covid-19 sur notre environnement. Mais, nous pouvons déjà relever quelques éléments. Tout d鈥檃bord, la pandémie de la Covid-19 nous a frappé, elle nous a mis à genoux, elle nous a humilié et nous a rappelé que nous ne sommes pas invulnérables, nous ne sommes pas le centre du monde. Ensuite, peu importe l鈥檕rigine de cette maladie, elle nous a interpellé sur le fait que la nature n鈥檈st pas manipulable à souhait. Finalement, elle nous a permis de retrouver certaines habitudes de vie, des habitudes saines. Le temps de confinement, par exemple, a vu le pic de pollution chuter dans des nombreux pays.

Quel rôle joue aujourd'hui l'Afrique dans le processus de préservation de l'environnement鈥�? Est-elle leader ou se contente-t-elle de suivre ?

Malheureusement, l鈥橝frique traine encore les pieds. Nous sommes cruellement absents des beaucoup de débats et des lieux où se prennent les grandes décisions sur les questions environnementales. Il est vrai que l鈥橝frique a tellement des problèmes que les questions des changements climatiques peuvent paraître secondaires. Mais, en fait, tout est lié. Les questions environnementales ne doivent pas être dissociées des questions économiques, politiques et sociales. Nous Africains, nous nous plaignons que les autres prennent des décisions qui nous sont défavorables. Mais, n鈥檈st-ce pas parce que nous ne sommes pas assez proactifs ? Nous sommes tellement absents que les autres décident à notre place. C鈥檈st à nous d鈥�être présents.

Pour le continent africain, bien en retard dans la technologie, le changement climatique constitue-t-il un obstacle à la croissance et au développement ?

Premièrement, l鈥橝frique est le continent qui a le moins de capacité de résilience face au changement climatique ou tout autre catastrophe naturel. Nous sommes très peu outillés. Nous avons peut-être moins contribué que les autres Etats, les autres continents au changement climatique. Mais, c鈥檈st nous qui allons en payer les conséquences plus que les autres, parce que nous avons moins de capacités d鈥檃nticipation et de réaction. Et cela aura un impact fort sur notre croissance et notre développement. C鈥檈st évident. 

Au regard de cette réalité, où en est l'Afrique aujourd'hui dans son rapport à l鈥檈nvironnement鈥�?

La réalité actuelle est que l鈥橝frique a encore beaucoup de chemin à faire face à son rapport avec l鈥檈nvironnement. Ce dernier a été pillé durant des décennies, des siècles d鈥檈xploitations anarchiques entre l鈥檈sclavage, la colonisation ainsi que la forme sournoise qu鈥檃 prise la colonisation aujourd鈥檋ui que l鈥檕n ne sait pas encore nommer. Nous avons été appauvris au point de vendre, de spolier nous-mêmes le peu de ressources qui nous restent : les eaux, les forêts, les animaux, les ressources minières, etc. La conséquence en est un appauvrissement continue, un cycle infernal de conflits et de contrôle de telle ou telle autre ressource. La plupart des guerres, des situations d鈥檌nstabilité sur notre continent sont liées au contrôle des ressources naturelles. Le pire est que ce n鈥檈st même pas à notre avantage. Nous ne faisons que ramasser les miettes que veulent bien nous laisser les puissances qui se servent de nous. Quel avantage, par exemple, tirons-nous de la grande forêt du Congo ? Pas grand-chose.

On a justement beaucoup parlé du cas du bassin du Congo. Quelle est la situation鈥�?

Le dernier synode sur l鈥橝mazonie a posé des questions qui concernent aussi bien le bassin du Congo que l鈥橝mazonie. Les nombreux acteurs notamment les Réseaux Ecclésiales du Bassin du Congo, REBAC, que dirige le père jésuite Rigobert Minani, ont travaillé et travaillent encore sur la sauvegarde de ce riche espace pour sa biodiversité et de ses populations qui sont marginalisées et menacées. La forêt du Congo est un des deux poumons du monde et est menacée par l鈥檈xploitation sauvage du bois et d鈥檃utres ressources animalières et minières ainsi que par le déplacement forcé des populations autochtones, dont la vie est intimement liée à cette forêt.  Il y a donc beaucoup à faire. Il faudrait sensibiliser les populations et le politiques au fait que le bassin du Congo est une richesse menacée et qu鈥檌l nous faut, à tout prix, le sauvegarder. 

À chaque conférence sur le climat, la même question revient inévitablement : les pays riches peuvent-ils imposer aux pays pauvres des mesures contre le réchauffement climatique ?

Je ne sais pas s鈥檌ls le peuvent ou pas. Mais, le rapport des forces est inégal. Il y a des décisions qui sont prises parfois en notre défaveur par des pays riches. La question environnementale ne constitue pas un point important dans l鈥檃genda de la plupart des pays africains. C鈥檈st juste un appendice et c鈥檈st bien dommage. Le résultat est que les autres finissent par nous imposer leurs points de vue parce que nous ne sommes pas suffisamment préparés. Dans des réunions d鈥檌mportance sur le climat, nous venons parfois sans apporter aucune solution sur les questions abordées. Le pire est que les délégations africaines qui participent à ces forums sur le climat sont souvent constituées non sur base des compétences, mais d鈥檃ppartenance à un groupe politique ou à un autre. La vérité est que beaucoup y vont pour faire du tourisme. C鈥檈st bien dommage.

Que suggéreriez-vous pour mieux sensibiliser les populations à l鈥檈nvironnement ?

Il faut commencer par la base, c鈥檈st-à-dire par l鈥�éducation, en famille, à l鈥�école, dans nos paroisses. Apprendre aux jeunes, aux enfants et aux adultes les gestes simples du respect et de la protection de l鈥檈nvironnement. Il s鈥檃git, par exemple, de la bonne gestion des déchets, de l鈥�économie d鈥�énergie, du renouvèlement et de l鈥檈ntretien des arbres, etc. Pourquoi ne pouvons-nous ne pas faire écho des gestes de respect de l鈥檈nvironnement comme nous avons fait écho des gestes barrières contre la Covid-19 ? Ensuite, il faudrait mettre en place une politique d鈥檌ncitation au respect de l鈥檈nvironnement. C鈥檈st-à-dire sanctionner ceux qui détruisent l鈥檈nvironnement et encourager ceux qui l鈥檈ntretiennent, en leur octroyant des prix, des subsides, etc. Dans ce sens, l鈥檕n pourrait, par exemple, encourager les paysans à adopter des pratiques culturales respectueuses de l鈥檈nvironnement, à pratiquer l鈥檃griculture biologique et à faire moins usage d鈥檈ngrains chimiques. Et finalement, à grande échelle, l鈥檕n pourrait adopter une politique qui promeuve le respect de l鈥檈nvironnement, aussi bien au niveau des Etats qu鈥檃u niveau régional. Dans ces trois secteurs, l鈥橢glise peut jouer un rôle fondamental. A titre illustratif, la Compagnie de Jésus, a choisi comme une des 4 préférences apostoliques, le soin de la maison commune. L鈥�éducation demeure un chantier prioritaire pour l鈥檃tténuation et l鈥檃daptation au réchauffement climatique en Afrique.