RD Congo : L’artiste-musicien Alesh, un « mental engagé » pour chanter le quotidien
Jean-Pierre Bodjoko, SJ* – Cité du Vatican
Vous êtes un artiste-musicien de la République démocratique du Congo (RDC). Pourquoi avoir choisi le nom de scène Kinglesh ?
Alesh : C’est un sobriquet qui m’a été donné dans ma ville natale de Kisangani, la troisième ville de la RDC. Avant de m’établir à Kinshasa, j’ai fait mes débuts au Centre culturel français à Kisangani. C’est ainsi que mes premiers fans m’avaient d’abord surnommé « Le Prince de la ville ». Et quand j’ai commencé à effectuer des tournées internationales, ils m’ont surnommé Kinglesh. Mais, j’ai également un autre surnom en lingala que j’aime vraiment beaucoup. C’est « Mwana Nzambe » (Enfant de Dieu. Ndlr). Ce surnom constitue pour moi une profession de foi et également un témoignage car j’aimerais être un exemple pour les plus jeunes en leur montrant que l’on peut réussir en s’accrochant à certaines valeurs spirituelles.
Contrairement à beaucoup d’artistes de votre pays, la RDC, les thèmes de vos chansons traitent plutôt des problèmes sociaux, parfois interprétées comme étant des chansons politiques. Pourquoi cette option ou orientation ?
C’est à la suite d’une longue analyse. J’ai eu la chance de bénéficier d’une éducation de qualité, ce qui n’est pas toujours le cas dans le milieu des musiciens congolais. C’est différent aujourd’hui avec la nouvelle génération, mais cela n’a pas toujours été le cas avec nos aînés. Rares sont ceux qui étaient passés par le banc de l’école. Ayant pu bénéficier d’une bonne éducation, je me suis rendu compte que le milieu musical congolais souffrait d’un manque criant en termes de contenus lyriques ou en termes de textes. Si je prends l’exemple des artistes qui nous précédés notamment Franco Luambo Makiadi, Kabasele Tshiamala ou encore Wendo Kolosoy, c’est vrai qu’ils ont produit des titres principalement focalisés sur ce que l’on appelle « l’enjaillement » (fête), mais ils ont également composé des chansons qui traitaient des réalités sociales. Notre vie n’est pas faite que d’amour. Comme on dit chez nous au Congo « Chérie nalingi yo » (Chérie je t’aime). On ne peut pas passer 30 ou 40 ans à n’entendre que ça dans notre musique. C’était donc important pour moi d’aborder d’autres sujets, car il se passe énormément de choses dans nos vies. Nous vivons dans un pays sous-développé, l’un des plus pauvres et des plus endettés au monde. C’est donc très important pour nous de se dire que puisque les Congolais adorent et écoutent beaucoup de la musique, il serait temps de les informer sur ce qui se passe et sur leurs propres responsabilités. On a tendance à croire que la responsabilité pour développer le pays n’incombe qu’aux dirigeants, alors que chacun, à son niveau, à se responsabilité en tant que citoyen. Un adage français dit « qu’il faut de tout pour faire un monde ». Il y en a qui chantent « Chérie nalingi yo » et moi j’ai décidé de parler de nos vies, de chanter notre quotidien. D’ailleurs, c’est plus facile pour moi de m’inspirer de notre quotidien que de créer des histoires d’amour fictives.
Vous dénoncez donc ce qui ne marche pas au sein de la société congolaise, d’où peut-être le nom de votre label « Mental engagé » ?
Justement, « Mental engagé » était, au départ, une association à but non lucratif que j’avais formée avec quelques amis à Kisangani en 2009. « Mental engagé » est né de notre volonté de produire et promouvoir les initiatives artistiques dans le domaine du Hip-hop, mais avec un contenu socialement ou politiquement engagé. Les artistes qui abordent ces types de thématiques ne sont généralement pas très soutenus, puisque ce sont des thématiques sensibles. Ainsi, ces artistes sont confrontés à des difficultés financières qui ne leur permettent pas notamment d’enregistrer dans de bons studios et d’avoir accès à des professionnels pour produire leurs clips vidéos, gérer leurs agendas, organiser leurs tournées, etc. Quand vous parlez de ces thématiques à plusieurs personnes au pays, elles sont réticentes et vous recevez des réponses du genre « Moi je ne suis pas politicien, il faut laisser la politique aux politiciens ». Etant donné que nous avions eu cette grâce d’avancer avec notre musique et de pouvoir gagner un peu d’argent, on s’est dit que nous n’allions pas utiliser cet argent uniquement pour notre propre bénéfice. La force d’un leader est sa capacité à pouvoir créer plusieurs leaders dans le futur. Demain ou après-demain, je pourrais me fatiguer et arrêter avec cette musique. Et, pour moi, ce serait un échec de constater que la cause pour laquelle je milite s’est également arrêtée avec le fait que j’ai décidé d’arrêter la musique. Il faut qu’après moi, 300 ou 500 artistes comme Alesh puissent aborder les thématiques de notre communauté. C’est vrai qu’on aime écouter du « Chérie nalingi yo », mais il est très important de ne pas avoir que ça et d’avoir également des artistes qui parlent de ce qui ne va pas dans leur société.
Justement, quand vous abordez beaucoup de thèmes de votre société, vous l’avez souligné, il peut y avoir beaucoup de difficulté par rapport à ce thème et aussi par rapport aux dirigeants de votre pays. Avez-vous déjà eu des problèmes à ce sujet ?
Oui. Ça fait 17 ans que j’évolue comme artiste professionnel. J’ai rencontré ces difficultés à plusieurs reprises. Mes relations avec certains dirigeants politiques n’ont pas toujours été faciles. J’ai failli partir en exil à deux ou trois reprises, j’ai été victime d’arrestations arbitraires, on a banni mes chansons sur plusieurs chaînes de télévision, on a ravi du matériel à certains DJ qui jouaient ma musique sur certaines rues de Kinshasa. Mais, en m’engageant sur cette voie, je savais déjà ce à quoi m’attendre.
Et assumer aussi les conséquences ?
Voilà. Ce n’est pas une voie que j’ai empruntée pour suivre la mode mais plutôt après mûre réflexion. Mais, je fais quand-même un effort d’être prudent car j’estime être plus utile en étant vivant que mort. Je n’ai pas non plus envie de donner une image de quelqu’un qui se prend pour Superman. Je ne vais pas sauver le monde à moi tout seul. Je peux juste apporter ma contribution et influencer d’autres jeunes à ouvrir un peu plus les yeux.
Néanmoins, nous ne parlons pas que de ce qui va mal. Il y a une autre thématique que j’aime beaucoup et que j’aborde dans mes chansons, c’est la thématique de l’espoir. Dans mon album « Mongongo », qui va sortir à la fin de cette année, il y a une chanson que j’aime beaucoup et qui est intitulée « Say » et le refrain est simple et dit « Say Yes, toko koma kaka na mboka oyo » (Say Yes, On va y arriver dans ce pays ». Donc, oui il y a des difficultés, oui il y a des choses qui vont mal, oui il y a beaucoup de challenges, mais il y a également beaucoup d’espoir et beaucoup de potentiels. Donc, au-delà de dénoncer certaines dérives, nous abordons également les thématiques de l’espoir et de l’unité. En effet, le tribalisme est un danger qui nous guette. C’est ainsi que j’ai une chanson où je dis que le Congo peut être considéré comme une mère qui a 450 enfants. Parce que le Congo compte 450 tribus et ethnies. Nous sommes tous fils et filles du Congo.
En dehors des difficultés que vous pouvez rencontrer dans votre métier d’artiste-musicien, il y a quand-même aussi des moments de joie et des moments qui vous procurent entière satisfaction. Votre rencontre avec l’ancien président Barack Obama, notamment, vous a boosté pour aller de l’avant ?
Je considère ma carrière comme une pièce de monnaie. Il y a la face A et la Face B. Il y a donc beaucoup de joie et c’est pourquoi je prends du plaisir à faire ce que je fais. Ma première fierté est de voir les sourires sur les visages de toutes ces mamans dans les rues de Kinshasa et quand elles me disent : « notre fils, on est très fières de ce que tu fais. Au moins, avec toi, on sait que l’on a un porte-parole. »
Après, il y a d’autres fiertés que ce sont tous ces accomplissements, notamment en 2014, quand j’ai rencontré l’ancien président américain Barack Obama, à travers un programme sponsorisé par le département d’Etat américain. C’est l’un de mes plus grands et plus beaux souvenirs. Pourquoi ? Parce que je suis le fils d’un fonctionnaire ordinaire qui vivait à Kisangani, je me suis retrouvé à Washington DC, avec le président Obama, je lui ai remis une copie de mon album et il m’a dit « Bravo pour le travail que tu fais. J’ai confiance en toi ». Et bien, c’est la consécration. Qui n’aurait pas rêvé de ce moment-là. Ce sont des souvenirs que je garde très précieusement et qui m’aident à tenir le coup face à des durs moments.
Vous avez parlé de votre prochain album. Quels sont vos projets immédiats et futurs ?
Dans cette période de confinement, j’ai emménagé un studio d’enregistrement chez moi à la maison et je passe toutes mes journées à enregistrer de nouveaux morceaux de musique. Cela fait une année que le public attend impatiemment mon deuxième album intitulé « Mongongo » et qui doit être sur le marché, en principe, au mois de décembre. Et après, nous préparons les concerts, même si on ne sait pas encore quand on pourra voyager. Nous avions un concert qui était prévu à Bruxelles le 30 juin…Donc, l’album constitue le principal projet sur lequel je travaille.
Par ailleurs, nous allons également produire une chanson d’un groupe de rap dénommé « De larue » et composé de jeunes vivant dans les rues de Kinshasa et qui sont communément appelés « Schégués ». Nous avions travaillé avec ces jeunes au cours d’un atelier et nous avions décidé de produire une de leurs chansons et de leur donner une nouvelle alternative dans la vie, parce qu’il y a quand-même beaucoup de violences et de désespoirs dans la rue. Ce sont des jeunes qui ont beaucoup de talents et en produisant une de leurs chansons, on espère les voir faire carrière comme cela a notamment été le cas pour le groupe « Staff Benda Bilili » (Constituée de personnes avec handicap. Ndlr). Ce sont donc les deux projets principaux sur lesquels je travaille en ce moment.
Kinglesh Mwana Nzambe, avez-vous un mot de la fin ?
C’est un immense honneur pour moi d’être interviewé par Radio Vatican. Je suis un fervent catholique, religion dans laquelle je suis né et j’ai grandi. Depuis mon enfance, je suivais la radio Vatican à la maison. C’est un autre accomplissement pour moi qui se réalise. Pour toutes les personnes qui veulent être au courant de mon actualité, elles peuvent me suivre sur Facebook et Instagram. Elles peuvent également s’abonner à ma chaîne YouTube : ALESH Officiel. Je gère seul les comptes de mes pages et il y a des chances qu’on se produise en concert un jour chez vous.
*Twitter : @JPBodjoko E-mail: jeanpierre.bodjoko@spc.va
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