L’engagement de l’Eglise dans la politique en Afrique
Camille Mukoso, SJ (avec Fides) – Cité du Vatican
Alors que la date prévue pour les élections présidentielles au Togo avance à pas de géant, l’atmosphère entre les pouvoirs politiques et l’Eglise catholique semble se détériorer de plus en plus. Dans un contexte des tensions sociales, l’Eglise catholique, indexée du doigt, est accusée d’être en connivence avec l’opposition. Elle est même traitée d’être le porte-parole de l’opposition. En République démocratique du Congo, en Afrique du Sud, au Kenya, en Tanzanie, au Soudan du Sud ou encore au Cameroun, l’Eglise locale a toujours dénoncé les atteintes aux droits de l’homme et à la démocratie. Mais, l’Eglise catholique est-elle habilitée à intervenir dans le domaine politique ?
Une question à réponses multiples
Pour d’aucuns, il est impérieux que l’Eglise s’exprime et prenne position sur les questions de l’heure. Pour d’autres, en raison de sa vocation spirituelle, elle doit s’en abstenir. D’autres encore pensent que l’Eglise devrait rester politiquement neutre et ne réagir que dans certains cas exceptionnels comme la crise sociopolitique à l’est de la République démocratique du Congo, les attentats meurtriers de Mogadiscio en Somalie ou le génocide rwandais. Quoi qu’il en soit, s’occuper de la politique peut paraître, à première vue, surprenant lorsque cette Eglise inscrit son action sur le territoire d’une république laïque. Et lorsqu’elle affirme que « sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Eglise sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes » (Gaudium et Spes 76 §3).
L’Eglise fidèle à sa mission prophétique
Il faut cependant noter que l’Eglise catholique « qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine ». (Gaudium et Spes 76 §2). C’est à ce titre, par exemple, que la déclaration des chefs de confessions religieuses sur la situation sociopolitique en République démocratique du Congo, publiée le vendredi 24 janvier 2020, commence par affirmer que « le prophète avertit le peuple » (Cf. Ezéchiel 33,6 ; Sourate 103).
Une telle affirmation est, à bien y penser, non seulement une interdiction d’intervenir directement dans les affaires politiques d’une nation, mais surtout la reconnaissance de l’obligation religieuse de porter un jugement moral, « même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent » (Gaudium et Spes 76 §5). Au fond, « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ » (Gaudium et Spes 1).
L’Eglise a ainsi la juste obligation de prêcher la foi avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir sans entraves sa mission parmi les hommes (…) en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situations (Cf. Gaudium et Spes 76 §5).
Le cas du Togo et de la Côte d’Ivoire
Le vÅ“u cher de l’Eglise catholique au Togo ne s’éloigne pas de cette visée : jouer un rôle d’observateur durant les élections présidentielles de février 2020, catégoriquement rejeté par le gouvernement par la voix de son Ministre de l’administration territoriale dans une lettre en date du 16 Janvier 2020, avec pour raison principale l’attitude impartiale de l’Eglise catholique. En Côte-d’Ivoire, après le message de la Conférence des Evêques au sortir de leur 114e Assemblée Plénière, les mêmes critiques d’impartialité de l’Eglise catholique ont été aussi soulevées.
La mission de l’Eglise et l’exemple de la Guinée
On ne le dira jamais assez, la mission fondamentale de l’Eglise consiste à défendre sans aucune ambiguïté les principes de vérité et de justice, qui sont des droits fondamentaux à tout homme et à tous les peuples. L’on comprend donc pourquoi cette dimension prophétique n’a toujours pas plu aux ennemis du peuple. D’ailleurs, l’Eglise en Afrique n’intervient pas seulement pour donner son avis quant aux questions à caractère strictement politique. Tout récemment, au terme de leur Assemblée ordinaire tenue du 22 au 26 janvier 2020 à N’Zérékoré, l’Union du Clergé guinéen s’est dite préoccupée par l’immigration clandestine des jeunes guinéens en direction de l’Occident à la recherche du bien-être et à la rencontre malheureuse de risques inconnus au cours de la traversée du désert dans des conditions défavorables.
La liberté d’agir
On le voit bien, l’Eglise, corps du Christ, n’est inféodée à aucune organisation politique. Sa seule préoccupation est de contribuer au bien-être du peuple tout entier, à la sauvegarde et à la promotion de la dignité de la personne humaine, au respect de la vie, des libertés et des droits fondamentaux (cf. Gaudium et Spes, n. 76 §2).
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