L'Egypte, un ?point de stabilit¨¦? essentiel, selon le nonce au Caire
Entretien réalisé par Marine Henriot ¨C Envoyée spéciale au Caire
Si l¡¯Égypte, géant démographique du Proche-Orient, est un pays très majoritairement musulman, et principalement sunnite, elle est aussi une vieille terre chrétienne où l¡¯Église catholique est représentée par pas moins de sept rites. Il y a d¡¯abord les coptes catholiques, qui représentent les deux tiers des catholiques. Viennent ensuite les latins, dont près de la moitié sont des réfugiés soudanais ou érythréens. Puis des communautés très anciennes: les maronites, les melkites, les syriens catholiques, les arméniens catholiques et les chaldéens. Tous ont contribué au développement de l¡¯Église catholique, notamment via le réseau d¡¯écoles où sont scolarisés 170 000 élèves dont la majorité ne sont pas des catholiques et qui démultiplie l¡¯impact des catholiques bien au-delà de ce que leur nombre leur permettrait. C¡¯est sans compter aussi sur les services assurés par les congrégations religieuses dans les domaines social et sanitaire.
Mgr Nicolas Thévenin, nonce apostolique au Caire depuis cinq ans, est «un peu le visage du Pape» dans le pays et apporte la présence du Saint-Père et ce sens de l¡¯Église universelle, contribuant à ce que l¡¯Église locale se sente connue, comprise et appuyée. Il revient sur les relations ?cuméniques, interreligieuses et sur la situation géopolitique.
On connaît le rapprochement et le travail que fait le Pape François avec le Pape copte Tawadros. Quel fruit sentez-vous ici avec les frères chrétiens en Égypte?
Le pape Tawadros est une personne extrêmement cultivée et en même temps une personne qui a vraiment un c?ur de pasteur, un c?ur d'unité qui accueille toujours très bien. On sent cette harmonie et cette nécessité de travailler ensemble au niveau personnel, lors des rencontres que nous avons et dans les directives qu'il donne à ses collaborateurs les plus proche.
Cette identité chrétienne permet de se rappeler -et les autorités ici insistent sur cela, ainsi que les Églises ¨C que la première identité, c¡¯est d'être égyptien et que tout le monde construise cette société, une société qui vit dans l'harmonie. L'Égypte a une vieille tradition d'ailleurs d'accueillir des communautés et cela remonte à Mohamed Ali qui, il y a plus de deux siècles, a décidé d'accueillir des gens de toutes les régions de la Méditerranée, quelles que soient leurs confessions religieuses, parce qu'elles pouvaient apporter quelque chose au développement du pays.
Je pense que nous sommes dans une phase où on recommence un peu à sentir l¡¯importance de cette ouverture générale. Le peuple égyptien est un peuple extrêmement pacifique. On peut avoir l'impression quelquefois qu'ils parlent fort, mais en fait, ils sont extrêmement chaleureux, extrêmement généreux. Et l'Égyptien n'est pas une personne violente.
C¡¯est un pays où on se sent en général en très grande sécurité et où il y a une générosité, une façon de créer des ponts entre les personnes. Quand j¡¯effectue une visite pastorale, en particulier en Haute-Égypte, c'est à dire le Sud, où il y a des proportions très importantes de chrétiens dans certains gouvernorats de plus de 40 %, tout le monde vous accueille. Quand les évêques organisent la visite du représentant du Pape, toute la population est immédiatement là, les orthodoxes, les musulmans. Je me rappelle très bien, dans la région d¡¯Assiout, et cela m'avait beaucoup impressionné, deux femmes musulmanes m'avaient baisé la main.
Il y a aussi le phénomène de la religiosité qui est très fort en Égypte. C'est un peuple religieux, qui sent cette présence de Dieu et sa protection.
Quand le Pape François était venu en avril 2017, il avait parlé d'un ?cuménisme de sang. Aujourd'hui, où en est-on sur ce chemin ?cuménique?
L'Église orthodoxe est une Église où le pape Tawadros est un primus inter pares. En conséquence, à l'époque le Pape François avait voulu un accord avec le pape sur le non-rebaptême des personnes. Or, il se trouvait que 45 % des évêques orthodoxes à l'époque n'étaient pas prêts pour cette reconnaissance qui existait autrefois. Il faut donc du temps, beaucoup de patience, et des relations personnelles. Que ce soit dans le dialogue ?cuménique ou le dialogue interreligieux, c'est la connaissance des personnes qui compte et pour cela, l'Égypte est vraiment un pays merveilleux. Cela fait cinq ans que je suis dans ce pays, mais ce n¡¯est pas suffisant pour arriver à pénétrer, à se connaître réciproquement, à s'apprécier réciproquement et à pouvoir vraiment avancer, dans une société complexe où il y a beaucoup de défis, notamment économiques avec la situation de crise que vivent les gens au jour le jour, mais en même temps où il y a beaucoup d'espérance et le désir de se sentir dans un même peuple où on travaille pour le bien commun.
Comment qualifieriez-vous les relations entre les chrétiens et leurs frères musulmans en Égypte, six ans après la publication du Document sur la Fraternité humaine?
Au-delà de la relation personnelle excellente entre le Pape François et le grand imam Al Tayeb, il y a une institution qui a été créée quelques années auparavant, avant la visite du Saint-Père -la Maison de la Famille égyptienne- à laquelle est associée l'Église catholique dans toutes ses sept composantes, ses sept rites. C¡¯est une institution de dialogue pour éviter les conflits, pour éviter qu'un conflit, le plus souvent rural, au sujet de la division des terres, ne dégénère pour toute la communauté chrétienne sur place. Elle a la sagesse d'étudier les problèmes avec soin pour éviter de créer des divisions inutiles.
Généralement, il y a un esprit de dialogue et malgré la crise qu'il y a eu à Gaza, en Terre Sainte, il n'y a jamais eu depuis deux ans un moment où j'ai pu sentir ni percevoir que les chrétiens se sentaient menacés. Il n'y a jamais eu d'attaques, de discrimination vis à vis des chrétiens. C'est très important parce qu'il n'y a pas la considération: «Vous, les chrétiens, vous êtes d'un côté». Non, il y a vraiment une sensation d'appartenir à un même peuple qui a été solidaire avec les gens qui étaient victimes, les personnes qui étaient expulsées, qui étaient massacrées, qui étaient maltraitées. C'était magnifique de voir qu'il y avait vraiment cet élan d'unité.
Concernant les Palestiniens, l'Égypte apporte son aide à ses frères déplacés, mais dans le même temps, elle doit rester ferme pour protéger la solution à deux États. Comment l'Église réagit-elle et accompagne-t-elle Le Caire?
L¡¯Égypte se trouve entre à la fois Gaza qui est à sa frontière avec le Sinaï et le Soudan. L'Égypte a accueilli des centaines de milliers de Soudanais et elle a accueilli beaucoup moins de Palestiniens. Mais c'est un des pays qui leur a le plus apporté d'aide matérielle y compris dans des cas extrêmes, dans des cas de personnes qui avaient de grands soucis de santé.
Par exemple, l'hôpital italien, ici avec des religieuses qui sont formidables, ont accueilli des personnes qui étaient dans des situations dramatiques avec des opérations et ont aidé ensuite à leur guérison et à résoudre un petit peu leur situation. L'Église a donc été présente.
Idem pour le Soudan. J¡¯ai été personnellement témoin de l¡¯accueil qu¡¯ont reçu en Égypte il y a presque deux ans des religieuses accompagnées de laïcs et d¡¯employés de leur couvant au Soudan et qui montre l¡¯esprit d¡¯accueil et de tolérance de l¡¯Égypte.
On a entendu les différents gouvernements très inquiets de la proposition de Donald Trump de déplacer les personnes de Gaza en Égypte et en Jordanie. Est-ce que le Saint-Siège partage cette inquiétude de l'éloignement de la solution à deux États?
On s'éloigne d'une possibilité de solution et surtout on excite les choses, en déportant des personnes, car il s'agit de déportations, il s'agit d'épuration ethnique, ce qui est quand même très très grave. Les personnes ont le droit de rester, à vivre et travailler là où ils sont nés, là où ils ont leurs terres.
Il est donc évident qu¡¯il y a ici une grande préoccupation pour ce qu'on espère être seulement des phrases en l'air et pas quelque chose de concret qui risque de déclencher un conflit permanent. Le Saint-Siège reste convaincu que la solution pour parvenir à une paix juste et durable reste celle des deux États, avec un statut spécial garanti au niveau international pour la ville de Jérusalem.
De fait, l'Egypte est un des derniers piliers stables, pays stables de la région. Est-ce que vous êtes inquiet d'une déstabilisation d¡¯une plus grande ampleur?
Je ne pense pas parce que d'abord, le peuple égyptien est un peuple pacifique. D'autre part, je pense qu'il y a besoin de ce point de stabilité dans la région. Il y a des pressions, bien sûr qui seront exercées sur l'Égypte, mais elle ne peut pas parce que ça engendrerait immédiatement une instabilité politique. Or l'Égypte est et doit rester un pays qui est un peu le point de stabilité et qui a même son mot à dire en ce qui concerne les solutions, que ce soit au Soudan, en Libye et même en Syrie, en qualité justement de pays stable, où l'harmonie existe entre ses différentes composantes.
Ceux qui veulent créer des entités étatiques qui excluent l'autre n'ont pas d'avenir. C'est pour ça que c'est très important de maintenir, comme en Egypte, comme au Liban, et en Syrie, des États où il y a la possibilité d'être de différentes confessions sans être persécuté et sans être opprimé.
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