L'indulgence jubilaire, une pluie de mis¨¦ricorde pour tous
Maria Milvia Morciano - Cité du Vatican
«Non solum plenam, et largiorem immo plenissimam»: c'est ainsi que l'indulgence centenaire est définie, en latin, dans la bulle Antiquorum habet fide relatio, du jubilé de 1300, le premier jubilé de l'Église catholique, proclamé par le Pape Boniface VIII.
Trois adjectifs en crescendo -pleine, plus large et très pleine- qui soulignent intentionnellement son caractère exceptionnel par rapport aux indulgences précédentes, liées aux Croisades, ou au Jubilé de L'Aquila, établi dans la bulle de 1294 par le pontife prédécesseur, Célestin V.
Boniface VIII a fait appel aux apôtres Pierre et Paul et, sous leur protection, a revendiqué son pouvoir d'accorder la rémission totale des péchés, sur la base des paroles de l'Évangile, et en particulier du passage de Matthieu 16:9: «Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel»
Pour obtenir l'indulgence, les Romains doivent visiter les basiliques 30 fois en 30 jours consécutifs, les étrangers 15 fois en 15 jours en étant «vraiment repentants et confessés». Boniface a établi la cadence symbolique de 100 ans, mais un deuxième jubilé a été proclamé 50 ans plus tard sous le pontificat de Clément VI, et la raison en était précisément d'offrir à toutes les générations la possibilité de vivre une Année Sainte -et donc une indulgence- au cours de leur vie.
Retour à l'état originel et pur du baptême
Au micro d¡¯Andrea Tornielli, directeur éditorial des médias du Vatican, Mgr Antonio Staglianò, président de l'Académie pontificale de théologie, revient sur la définition du mot «indulgence». La signification spirituelle de l'indulgence, «est liée à la miséricorde de Dieu, qui descend abondamment dans la vie des êtres humains. Et comme la miséricorde de Dieu est Dieu lui-même, elle entre dans la vie humaine et la change», explique t-il.
«L'indulgence est une miséricorde qui, comme une pluie abondante, descend dans l'existence de l'homme et le transforme, en l'orientant vers la bonté, l'amour, la fraternité, c'est-à-dire vers la récupération de soi et de son humanité qui, dans le péché, s'était en quelque sorte perdue», souligne encore Mgr Staglianò.
Le président de l'Académie pontificale de théologie poursuit: «Avec le péché, nous détruisons l'image, la ressemblance à Dieu qui nous a créés. Nous détruisons donc la beauté de l'humanité dont Il rêve en nous regardant. C'est pourquoi l'indulgence est avant tout un don de l'Église, car, comme nous le lisons dans les Évangiles, l'Église a le pouvoir de lier et de délier, et donc d'accorder cette miséricorde de Dieu qui nous a été méritée par notre Seigneur Jésus-Christ et les saints du ciel».
Les indulgences "lucratives"
L'expression est beaucoup moins utilisée aujourd'hui, mais on disait autrefois que les indulgences étaient «lucratives». Selon la doctrine de l'Église, la possibilité d'accorder cette annulation de la peine, causée par notre péché, se produit précisément parce qu'il existe des biens spirituels qui circulent dans la communion des saints qui nous unit à eux.
L'idée du marché est restée, mais est-il possible de la comprendre dans un sens positif? Selon Mgr Staglianò: «Nous vivons dans une société centrée sur le marché, sur les affaires, certains disent même que l'argent est devenu le générateur symbolique de toutes les valeurs, de sorte que rien n'est fait si ce n'est pour l'argent, et comme on le dit aussi dans le langage populaire: "Sans argent, on ne chante même pas les messes"».
Ce rapport entre l'expérience spirituelle, même sacramentelle, et l'argent est un rapport qui a toujours existé dans l'Église, rappelle le président de l'Académie pontificale de théologie. En effet dans l'antiquité, lorsque les gens se confessaient, il y avait des tables et peut-être même des tarifs sur les punitions; une chose étrange a été générée qui n'a évidemment pas bien fonctionné, mais que nous pouvons comprendre aujourd'hui sous une nouvelle lumière: l'idée que les riches qui se confessaient et devaient ensuite, pour recevoir l'absolution, accomplir certains actes de purification et de sacrifice, parfois très onéreux, payaient les pauvres pour qu'ils les accomplissent à leur place, et cet usage était dans une certaine mesure autorisé.
«Il y a une part de mercantilisme dans cet aspect, mais il va dans le sens de la solidarité, c'est-à-dire qu'il permet aussi aux pauvres de vivre», poursuit Mgr Staglianò. «En se référant à cet usage dans le christianisme primitif, Luther avait certainement raison de dire que dans certains cas, le mercantilisme était objectivement exagéré. Cependant, il peut y avoir l'idée d'un marché de partage, de solidarité, de participation mutuelle aux biens spirituels de ceux qui ont plus et peuvent donner plus».
La foi n'est pas de la magie
Mgr Antonio Staglianò met en garde contre les risques d'une mauvaise compréhension de l'indulgence: «Pour comprendre en profondeur la question de la spiritualité et de la foi, nous devons penser qu'il ne suffit pas de faire des gestes de façon presque magique, comme le passage de la Porte Sainte ou un geste de charité, comme s'il s'agissait d'éléments mécaniques de cause à effet. La foi n'est pas magique, elle est sacramentelle, c'est-à-dire qu'elle touche mon corps parce qu'elle touche le corps du Christ qui se présente dans le sacrement, et s'enracine dans une expérience profonde et intérieure de conversion».
Ainsi, il faut décider au plus profond de son c?ur d'entreprendre le saint voyage vers l'amour de Dieu qui pardonne et qui rachète. Obtenir des indulgences est une maxime qui peut être maintenue tant qu'elle est enracinée dans la conviction profonde de vouloir changer de vie. «Et comment changer de vie si je ne veux pas pardonner aux autres, si je reste replié sur moi-même, revendiquant même le droit à la vengeance?»
La miséricorde de Dieu a toujours existé et est pour tous
Le président de l'Académie pontificale de théologie rappelle aussi que «l'image de la pluie qui tombe abondamment à seaux, image d'ailleurs évangélique, puisque Jésus dit que Dieu fait pleuvoir sur les justes et les injustes, pourrait nous faire changer de perspective sur la question de l'obtention des indulgences par la miséricorde de Dieu».
«Nous avons l'habitude de penser à la miséricorde de Dieu que nous recevons en l'appréhendant du côté humain: "Je suis croyant, je suis baptisé, je commets un péché et j'ai donc besoin d'être pardonné. Je vais donc voir le prêtre, je me confesse et je reçois la miséricorde de Dieu, le pardon de mes péchés par l'acte sacramentel». Mais, «cela ne fonctionne pas comme ça pour tout le monde, poursuit Mgr Staglianò, cela ne fonctionne que si nous nous plaçons dans la perspective que l'eau abondante de la miséricorde de Dieu descend sur tout le monde, pas seulement sur les croyants et les chrétiens, mais sur tout le monde».
Cette eau abondante de la miséricorde de Dieu existait en effet avant Abraham, avant Adam, avant que le monde ne soit. Au concile de Nicée, tous ceux qui disaient que Jésus "n'était pas là quand il n'était pas là" ont été excommuniés. «Jésus de Nazareth, qui est la miséricorde de Dieu répandue sur l'humanité, était là "même" quand il n'était pas là, parce que Jésus est avant que le monde ne soit».
La révolution du pardon
«Le pardon a une charge réellement révolutionnaire», explique enfin l¡¯évêque italien. «Je crois donc que le prochain Jubilé, en référence à ces fronts de guerre dans le monde, et en particulier à l'Ukraine, mais aussi à la terre de Jésus, la Palestine, pourrait avoir une grande signification politique révolutionnaire, et dire politique révolutionnaire ne signifie pas moins mystique, dire social ne signifie pas moins spirituel, parce que le Verbe s'est fait chair, le ciel a été renversé, donc toute la spiritualité du monde devient aussi la transformation de l'histoire, de la société, de la civilisation».
Pour Mgr Antonio Staglianò, «si Dieu pardonne, c'est avec une charge révolutionnaire. Il n'y a qu'une seule voie». Pour cela, la paix, en Ukraine et ailleurs ne pourra revenir qu¡¯en dépassant la simple diplomatie: «La véritable paix, comme le souligne le Pape François, ne se produira que si ces peuples se pardonnent mutuellement».
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