Mgr Paglia: le vote sur l'avortement est ?le droit du plus fort sur le plus faible?
Entretien réalisé par Francesca Sabatinelli - Cité du Vatican
Les députés européens ont voté, jeudi 11 avril, en faveur de l¡¯inclusion du droit à l¡¯avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l¡¯Union européenne. Au lendemain de ce vote, opposition et tristesse ont été exprimées par la Comece. Pour la Commission des épiscopats de la Communauté européenne, la vie est un droit fondamental, et non l'avortement. Une position défendue par Mgr Vincenzo Paglia, président de l'Académie pontificale pour la vie, pour qui le choix du Parlement européen «contraste» avec le respect des droits des plus faibles, tel que l'enfant à naître.
Mgr Paglia, que pensez-vous de ce vote du Parlement européen?
Je considère qu'il s'agit d'un choix totalement idéologique, au sens négatif du terme, car il suppose que nous prenions uniquement en compte les femmes, que nous ne les aidions, que nous les soutenions, alors que beaucoup d'entre elles avortent par désespoir. Le problème est le suivant: l'absence totale du droit de l'enfant à naître. C'est à mon avis très grave d'un point de vue culturel et social. En ce sens, il me semble qu'il s'agit d'un choix qui ramène en arrière, qui ne fait pas avancer, et qui va à l'encontre du respect de tous les droits, même des plus faibles; et dans ce cas, l'enfant à naître est le plus faible, il ne peut pas parler, il ne peut rien revendiquer, et il est logique, trop facile, de faire valoir les droits des plus forts et d'oublier les plus faibles. C'est un mauvais choix que de revendiquer le droit d'une seule partie, et non des deux.
Quel type de mentalité le résultat de ce vote du Parlement européen reflète-t-il?
Une mentalité qui, à mon avis, est une très individualiste qui ne tient pas compte de la réalité de la vie. N'oublions pas que lorsqu'une femme est enceinte, il y a deux réalités. En ce sens, la réhabilitation totale des droits individuels au détriment aussi des devoirs envers autrui nous conduit à une triste dérive, la dérive que chacun peut être juge de lui-même. Et ce chacun peut être l'individu, il peut être un groupe, une nation. Et dans ce sens, il y a une ivresse de l'individualisme. Je le répète, cela implique aussi une proximité totale avec les femmes qui tombent enceintes. Il faut une justice efficace pour aider les femmes à défendre leur dignité, leur droit au travail, leur droit à s'exprimer pleinement en tant que personne humaine.
Alors, comme le dénoncent les évêques européens, c'est l'Union européenne qui impose une certaine idéologie?
Bien sûr, mais il n'y a pas de doute. Par ailleurs, je voudrais souligner que l'opposition à l'avortement n'est pas seulement une question catholique. J'ai beaucoup d'amis, par exemple Angelo Vescovi, qui est président du Comité italien de bioéthique, qui est contre l'avortement bien qu'il ne soit ni croyant ni catholique. Le problème est très simple: la personne qui a été engendrée est-elle une vie ou non? Si c'est une vie, de quel droit puis-je l'exclure ou l'éliminer? Je comprends donc qu'il puisse y avoir des conflits et parfois, cela nous échapperait, cela fait partie de la dialectique générale. Mais méconnaître totalement le droit de celui qui va naître au profit des droits d'un autre, surtout s'il ne peut alors rien décider, me semble clairement un recul culturel. Je n'en doute pas.
Je trouve également intéressante la dernière déclaration de la Doctrine de la Foi, selon laquelle la dignité infinie appartient à tous, sans exception. C'est pourquoi l'Église doit défendre la vie: nous sommes contre la peine de mort, contre la guerre, contre l'avortement, contre l'injustice, contre l'absence de droits au travail, l'absence de défense de la vie même pour ceux qui travaillent dans des conditions terribles. C'est ce que nous devons absolument promouvoir: la défense de la vie dans son ensemble, à commencer par celle des plus faibles.
Il est fort probable que ce vote n'ait aucune conséquence, puisque cette mesure doit être ratifiée à l'unanimité par les 27 pays. Cela ne sera pas possible car plusieurs pays ont déjà exprimé leur opposition. Il n'en reste pas moins que c'est un signal...
Mais bien sûr, et c'est un mauvais signal. Le problème maintenant n'est pas immédiatement un problème législatif, car je pense qu'il sera difficile de l'approuver. Le problème est culturel et il est très profond, précisément parce que je crois que l'accentuation exaltée, exagérée des droits individuels nous fait oublier que nous sommes tous interconnectés, tous liés. Le mystère de la maternité et de la naissance est l'un des mystères qui qualifient le sens même de la vie et de l'humanité, à savoir que nous sommes pluriels depuis le début: si la femme décide pour elle-même sans tenir compte de quoi que ce soit, c'est un coup à cette conception du «nous» qui est à l'origine.
En ce sens, nous devons également redécouvrir la coresponsabilité pour la vie qui naît. Qui a le droit de la supprimer? C'est pourquoi je crois qu'il s'agit d'un problème culturel beaucoup plus profond qu'une superficialité, je l'appellerais l'ivresse du droit individuel. Je répète que nous devons tenir la vie des femmes en haute, très haute estime.
Mère Teresa a créé un refuge en disant aux femmes enceintes: mettez-les au monde, je les prendrai, parce que tant de femmes avortent, elles ont des problèmes, peut-être économiques ou même psychologiques ou d'une autre nature, parce qu'elles sont seules et qu'elles ne sont pas aidées. C'est pourquoi je crois que, face à une culture qui continue à exalter le «je», nous devons au contraire pousser vers une culture du «nous». Parce que le «nous» est la substance de l'humain, il est la substance de la solidarité, de la fraternité et donc aussi de la justice. En bref, ce vote va bien au-delà d'un simple choix politique. Il renvoie à une conception individualiste de la vie qui n'est pas ce que nous voyons, et réalisons tous, ce «nous» qu'il faut chérir dès l'origine.
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