Le dialogue du Pape avec les j¨¦suites de Tha?lande et du Japon
Le continent asiatique est traversé par de nombreuses tensions et de situations de souffrance. Comment concilier, d'une part, la nécessité de dénoncer ces situations et, d'autre part, la prudence nécessaire qui suggère parfois de se taire pour le bien commun ou pour ne pas envenimer davantage les situations?
Le Pape François: Il n¡¯existe pas une recette particulière. Il y a des principes de référence, mais le chemin à emprunter est toujours un petit sentier à découvrir dans la prière et le discernement de situations concrètes. Il n'y a pas de règles définies et toujours valides. Le chemin s¡¯ouvre avec une pensée ouverte et non avec des principes abstraits de diplomatie. En observant les signes, nous discernons le chemin à prendre.
À cet égard aussi, il est important de se laisser guider par le Seigneur. Parfois, plus que des autoroutes, les petits chemins fonctionnent, ces routes périphériques qui, cependant, vous font atteindre votre but. Elles ne sont pas rigides, grandes, évidentes, mais elles sont efficaces. En particulier, nous, jésuites, nous sommes invités à ouvrir les yeux sur notre réalité, à nous tenir devant le Seigneur avec cette réalité, à prier et à trouver notre petit chemin.
Parfois, au contraire, quand on veut que tout soit bien organisé, précis, rigide, toujours défini de la même manière, alors on devient un païen déguisé en prêtre. Je pense que Jésus a beaucoup parlé de l'hypocrisie pharisaïque à cet égard. Nous devons chercher notre petit chemin par la prière, la contemplation de la réalité, le discernement et l'action. Et bien sûr l'engagement, le courage. En nous engageant, nous comprenons les choses. Bref, nous avons besoin de la vertu de prudence, qui est aussi une vertu de gouvernement. Mais attention ! Ne confondez pas prudence et simple équilibre. Les prudents de l'équilibre finissent toujours par s'en laver les mains avec leur détachement. Et leur saint patron est Ponce Pilate...
Comment l¡¯Église et le monde accueillent votre encyclique Laudato Si¡¯?
La réunion de la COP21 à Paris en décembre 2015 a suscité de nombreuses attentes. Un grand effort a été fait pour faciliter la rencontre des dirigeants mondiaux afin de trouver de nouveaux moyens de faire face aux changements climatiques et de préserver le bien-être de la Terre, notre foyer commun. Cette réunion à Paris a vraiment été un pas en avant. Mais alors des conflits ont commencé, les compromis entre ce qui était supposé et les intérêts économiques de certains pays. C'est ainsi que certains se sont retirés. Mais aujourd'hui, les gens sont devenus beaucoup plus conscients qu'avant du soin de la Maison commune, de son importance. De nombreux mouvements sont nés, surtout ceux animés par des jeunes. C'est la route sur laquelle il faut marcher. Aujourd'hui, ce sont les jeunes qui comprennent de tout leur c?ur que la survie de la planète est un thème fondamental. C'est une promesse d'avenir. L'encyclique est faite pour être largement partagée. Ce qu'elle dit est maintenant repris par beaucoup. Et il n'y a pas de droit d'auteur sur le soin de la maison commune ! C'est un message qui appartient à tous.
Comment vivre le ministère d¡¯accueil en Thaïlande, où il y a beaucoup de réfugiés et de problèmes issus de ces situations ?
Pour les Jésuites, travailler avec les réfugiés est devenu un véritable "lieu théologique". Je considère que c'est un lieu théologique. Le témoignage du père Pedro Arrupe qui, ici même en Thaïlande, dans son dernier discours, a réitéré l'importance de cette mission. Arrupe était pour moi un prophète : son "chant du cygne" a été le fondement, ici même à Bangkok, du Service jésuite pour les réfugiés (JRS). Le phénomène des réfugiés a toujours existé, mais il est aujourd'hui mieux connu en raison des différences sociales, de la faim, des tensions politiques et surtout des guerres. Pour ces raisons, les mouvements migratoires s'intensifient.
Quelle est la réponse donnée par le monde? La politique de l'écart. Les réfugiés sont des déchets. La Méditerranée a été transformée en cimetière. La cruauté impressionnante de certains centres de détention en Libye me touche au c?ur. Ici, en Asie, nous connaissons tous le problème des Rohingyas. Je dois admettre que je suis choqué par certains des récits que j'entends en Europe sur les frontières. Le populisme prend de l'ampleur. Dans d'autres parties il y a des murs qui séparent même les enfants des parents. Je pense à Hérode.
Et pour les drogues, cependant, il n'y a pas de murs. Comme je vous l'ai dit, le phénomène des migrations est très accentué par la guerre, la faim et une «philosophie de défense», qui nous fait croire que seule la peur et le renforcement des frontières, permettent de se défendre. D'autre part, il y a l'exploitation. Nous savons bien comment l'Église - et combien de moniales sont engagées dans ce domaine ! - travaille dur pour sauver les filles de la prostitution et des différentes formes d'esclavage.
La tradition chrétienne a une riche expérience évangélique dans le traitement du problème des réfugiés. Nous nous souvenons aussi de l'importance d'accueillir l'étranger qui nous enseigne l'Ancien Testament. Mais il y a aussi beaucoup de petites coutumes populaires d¡¯accueil, comme celle de laisser une chaise vide un jour de fête si un invité inattendu arrive. Si l'Église est un hôpital de campagne, l'un des domaines où il y a le plus de blessés est précisément celui-ci. Ce sont ces hôpitaux que nous devons le plus fréquenter. La volonté d'Arrupe a donné un grand élan au travail avec les réfugiés, et il l'a fait en demandant d'abord une chose: prier, encore prier. Le discours qu'il a prononcé ici à Bangkok devant les jésuites qui travaillaient avec les réfugiés ne devait pas négliger la prière. Il faut bien s'en souvenir: la prière. Comme pour dire, dans cette périphérie physique, n'oubliez pas l'autre, le spirituel. Ce n'est que dans la prière que nous trouverons la force et l'inspiration pour entrer bien et fructueusement dans ce que sont les «désordres» de l'injustice sociale.
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Enfin, lors de son voyage au Japon, le Pape François a consacré la dernière journée, le 26 novembre, à une visite à l'Université Sophia de Tokyo, dirigée par la Compagnie de Jésus. Avant de s'adresser aux étudiants et au corps académique de l'auditorium, il a célébré la messe avec les jésuites du pays, au nombre de 162, résidant dans 9 communautés religieuses. Dans son homélie, François a développé la notion du «désir» dans l¡¯engagement, la mémoire et l¡¯action concrète, orientés vers Dieu.
«Le vrai désir d'être avec le Seigneur a aussi une mémoire, il doit être un désir commémoratif», a estimé le Pape, précisant sa pensée: «un désir qui n'est pas une condition, mais le souvenir de tout un chemin parcouru, un souvenir de la grande miséricorde de Dieu envers chacun de nous».
À ceux que le Seigneur a appelés et permis de marcher avec lui sur le chemin de la vie, il demande de ne pas perdre sa mémoire, a rappelé l¡¯évêque de Rome. «Le souvenir de l'endroit où il nous a emmenés». Car, quand on perd la mémoire, on perd la capacité d'être fidèle, a ajouté le Souverain pontife. Enfin, le désir doit être concret, car Jésus ne nous sort jamais de la réalité consciente et de la réalité du présent, en a-t-il conclu.
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