Le Service j¨¦suite des r¨¦fugi¨¦s touch¨¦ par le gel des aides am¨¦ricaines
Linda Bordoni ¨C Cité du Vatican
«Retirer la dignité à un groupe aujourd'hui peut conduire à ce qu'il en soit de même pour nous tous demain». De passage dans les studios de Radio Vatican, lundi 17 février, le frère Michael Schöpf, directeur international du Service jésuite des réfugiés (JRS) commente l'arrêt soudain et immédiat du financement de l'aide étrangère du gouvernement américain. Selon lui, cette décision met en évidence un changement dramatique de la coopération multilatérale, soulevant des inquiétudes quant à l'érosion d'un ordre mondial basé sur des valeurs.
Décrivant la décision du gouvernement américain de suspendre tout financement de l'aide étrangère comme une «interruption très brutale», le directeur international du JRS rappelle combien cette aide bénéficiait directement à des projets destinés aux personnes vulnérables dans neuf pays, dont le Tchad, l'Éthiopie, l'Irak et le Soudan du Sud. Ces projets, dotés d'un budget annuel total de 18 millions de dollars, soutenaient plus de 100 000 réfugiés, principalement dans les domaines de l'éducation, de la santé mentale et de l'aide d'urgence.
«Une décision soudaine, difficile à expliquer aux réfugiés»
«Nous avons reçu la lettre du gouvernement américain le 24 janvier, indiquant que tous nos projets étaient suspendus avec effet immédiat», raconte le frère Schöpf. «La soudaineté de cette décision ne nous a laissé aucune possibilité de préparation ou de transition, ce qui est extrêmement difficile à expliquer aux réfugiés que nous accompagnons».
Parmi les programmes les plus touchés, on trouve l'initiative d'éducation à grande échelle dans l'est du Tchad, «une zone très volatile», où le JRS scolarise plus de 10 000 élèves et emploie 450 enseignants. «En fait, ni pour les élèves ni pour les enseignants, il n'y a plus d'argent pour continuer ce programme d'éducation à partir de lundi, quand ils retourneront à l'école», note frère Schöpf.
Sans financement, ces élèves sont confrontés à un avenir incertain. On peut être certain, avance le religieux allemand, qu'un grand nombre d'entre eux -si ce n'est tous- abandonneront l'école, ce qui les exposera à un risque beaucoup plus grand, car ils n'auront rien à faire de la journée et deviendront des proies faciles pour les trafiquants.
Cette réduction affecte également le soutien à la santé mentale de 500 étudiants et les activités communautaires génératrices de revenus pour les familles. «Un effet typique de cette nouvelle politique sera que, sans la possibilité de reconstruire des vies, les tensions augmenteront et la paix sera en danger entre les réfugiés et les communautés de réfugiés, entre les différentes parties des communautés de réfugiés. Ce que nous voyons en ce moment, c'est une augmentation inconcevable de la vulnérabilité d'un nombre incroyable de personnes», déplore le jésuite.
Une crise humanitaire plus large en perspective
Au-delà du JRS, le gel des financements menace l'ensemble du réseau d'aide humanitaire, y compris le HCR et d'autres organisations partenaires qui dépendent des contributions américaines. Les États-Unis fournissant plus de 40% de l'aide mondiale au développement, les ramifications s'étendent bien au-delà du seul JRS.
«Ce n'est que la première vague», a averti le frère Schöpf. «Une fois que d'autres organisations auront décidé de la manière dont elles réagiront au gel des financements, une deuxième vague de perturbations suivra. C'est tout le réseau qui souffre», s¡¯attriste-t-il, pointant des conséquences désastreuses. Les enfants réfugiés perdent non seulement l'accès à l'éducation, mais aussi, comme nous l'avons dit, la sécurité et la stabilité qu'offrent les écoles. «Beaucoup d'entre eux reçoivent également leurs repas à l'école, ce qui fait du gel des financements une crise humanitaire immédiate ¡®¡¯vitale¡¯¡¯».
Ce scénario remet également en question la compréhension même de ce que signifie «sauver des vies» car, comme l¡¯explique le frère Schöpf, l'argent des projets va être examiné par la nouvelle administration américaine qui prévoit certaines dérogations concernant ce qu'elle appelle les activités «vitales».
«Qu'est-ce qui sauve la vie? Si vous avez quelque chose à boire et à manger, le sauvetage s'arrête-t-il là? observe-t-il, car il est fort probable que vous ne mourrez pas. Ou bien pensez-vous que l'éducation et les services de santé mentale, qui vous aident à reconstruire votre vie, sont également vitaux et nécessaires pour survivre ? Je pense qu'il s'agit là d'une question importante qui fait actuellement l'objet d'un débat», poursuit-il.
La fin du multilatéralisme en question
Un autre scénario à prendre de plus en plus en considération concerne les motivations et la capacité d'interrompre l'aide, ce qui, selon le frère Michael Schöpf, représente un abandon de la coopération multilatérale, qui a longtemps été le fondement des efforts humanitaires mondiaux.
Une telle décision ne se limite pas à une simple réduction du financement, elle est le signe d'une transformation plus profonde de l'ordre mondial, a-t-il expliqué.
«Si nous disons adieu au multilatéralisme et à un ordre mondial fondé sur des valeurs, il n'y aura pas de remplacement. C'est un départ vers un nouvel ordre mondial, où les relations transactionnelles prennent le pas sur la dignité humaine», a averti le directeur international du JRS.
Le Pape a mis en garde à plusieurs reprises contre de tels changements, a rappelé le jésuite, citant la lettre adressée aux évêques américains, où l¡¯évêque de Rome écrit: «Tout ce qui est entrepris par la force et qui ne reconnaît pas la vérité de la dignité humaine commence mal et finira mal».
Un appel à l'action
Quelle que soit la réalité, le JRS s'engage à accompagner les réfugiés et à leur apporter de l'aide partout où cela est possible. «Nous ne sommes pas seulement un prestataire de services, nous sommes une organisation qui marche avec les réfugiés», a affirmé le frère Schöpf. «En temps de crise, nous sommes d'une solidarité inébranlable avec ceux qui sont forcés de fuir». «Pour nous, il est important d'accepter cette fragilité avec eux», a-t-il déclaré, notant que c'est en fait l'expérience de Noël.
«L'histoire de Noël nous dit que Dieu choisit délibérément de devenir humain, de s'identifier à eux dans les circonstances les plus précaires. Je pense que c'est ce que nous sommes appelés à faire en tant que Service jésuite des réfugiés», a-t-il affirmé.
Appel d'urgence aux donateurs
Le JRS a lancé un appel d'urgence à ses donateurs, espérant récolter entre 1,5 et 2 millions de dollars pour combler le déficit de financement immédiat pour les deux prochains mois. Cependant, le frère Schöpf reconnait qu'il ne s'agit que d'une solution temporaire et qu'elle ne peut pas remplacer le soutien structurel que la coopération multilatérale apportait autrefois.
Pour ceux qui se demandent comment ils peuvent aider, le JRS encourage les dons directs par le biais de son ou le soutien à d'autres organisations caritatives affectées.
Au-delà des contributions financières, le plus important, a souligné le frère Schöpf, est de plaider pour la préservation de la dignité humaine dans les politiques mondiales. «C'est le moment d'être actif», a-t-il insisté. «Nous devons nous adresser à ceux qui détiennent le pouvoir politique et leur rappeler que si l'on retire la dignité à un groupe aujourd'hui, nous risquons tous de subir la même chose demain.» Inspiré par la lettre du Souverain pontife aux évêques américains, le religieux allemand rappelle que «la foi n'est pas seulement une doctrine morale, mais une foi en action».
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