Au Nigeria, la fragile d¨¦mocratie au d¨¦fi des urnes en 2023
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu - Cité du Vatican
À 79 ans, Muhammadu Buhari, élu une première fois en 2015, ne peut pas se représenter. En février prochain, les 95 millions d¡¯électeurs du Nigeria seront amenés à choisir parmi les 18 candidats retenus par la commission électorale. Ce chiffre élevé pourrait conduire, pour la première fois dans l'histoire du pays, à devoir organiser un second tour de scrutin.
Cependant, ce scrutin du 25 février 2023 risque d¡¯être celui des espoirs déçus des Nigérians. Désenchantés, les électeurs n¡¯ont pas vu se réaliser les promesses du président sortant, ce qui fait dire à Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l¡¯Institut de recherche pour le développement au sein l¡¯université Paris Cité, qu¡¯il y a eu «des moments plus intenses sur le plan démocratique, notamment en 2011 et en 2015. Là, c'est pas du tout le cas». «Le Nigeria s¡¯installe dans un système électoral qui est plus ou moins frauduleux et que certains appellent démocratie», poursuit l¡¯universitaire en évoquant le haut niveau de corruption et la pratique des assassinats politiques, mais «beaucoup de Nigérians ne le vivent pas comme tel et sont très demandeurs de ce qu'on appelle les dividendes de la démocratie qui devraient se transformer justement en développement, ce qui n'est pas le cas». Le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent africain, traverse crise économique profonde que la vente des produits pétroliers ne parvient pas à endiguer. «Il y a un appauvrissement de la population», et «beaucoup de désillusion», commente Marc-Antoine Pérouse de Montclos, pour lequel «le mot démocratie peut être un peu trompeur» car «la classe dirigeante est très corrompue, très mafieuse».
Manque de renouvellement de la classe politique
Les deux principaux prétendants à la présidence sont Atiku Abubakar, 76 ans, candidat du Parti démocratique populaire (PDP), et Bola Ahmed Tinubu, 70 ans, candidat du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC); l¡¯âge des candidats est en fort contraste avec la jeunesse de la population, dont 60% a moins de 25 ans. «Les deux principaux candidats qui se présentent sont des hommes complètement issus du sérail du système», souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos, «donc on ne peut pas dire que cette élection représente un vent d'espoir» ajoute-t-il.
Violence et corruption
Lorsque le président Buhari arrive au pouvoir en 2015, il annonce une réforme de l'armée pour lui permettre d'améliorer ses performances dans la lutte contre le groupe islamiste extrémiste Boko Haram. Ancien militaire, présenté comme intègre, les Nigérians s¡¯attendent à ce qu¡¯il maintienne sa promesse de lutter contre la corruption, mais c¡¯est un échec. «Buhari a beaucoup déçu», commente le chercheur: «je pense qu'il n'a pas été capable de réformer l'armée parce que l'armée est elle-même extrêmement corrompue. Il y a des détournements d'achats de contrats d'armes qui porte sur des milliards de dollars», précise-t-il.
Quant à la lutte contre les groupes armés, en tête desquels Boko Haram, actif dans trois des trente-six États de la Fédération du Nigeria, dans la région du lac Tchad, au nord-est du pays, elle n¡¯a pas donné les résultats escomptés, mais Boko Haram ne représenterait qu¡¯une menace marginale, selon le directeur de rcherche à l¡¯IRD. Le groupe est «très fragmenté» affirme Marc-Antoine Pérouse de Montclos, ajoutant qu¡¯il n'a «absolument pas les moyens de s'emparer du pouvoir à Abuja. [¡] C'est un conflit de basse intensité avec lequel le Nigeria va continuer de vivre pendant des années».
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