Face au M23, l'?glise de Bukavu appelle ¨¤ la coh¨¦sion sociale
Entretien réalisé par Marie Duhamel ¨C Cité du Vatican
Pour régler la situation sécuritaire dans l¡¯Est de la République démocratique du Congo, les seize pays membres de la Communauté de développement de l'Afrique australe, ainsi que les huit pays de la Communauté de l'Afrique de l'Est réclament «un sommet conjoint» tandis que le groupe armé M23 soutenu l'armée rwandaise poursuit son avancée. Après avoir pris la ville de Goma où les Nations unies ont dénombré au moins 700 morts et plus de 2.800 blessées, les combattants se rapprochent de Bukavu, laissant craindre la répétition de violents combats.
À Bukavu, agglomération de plus d'un million d'habitants, le diocèse tente la voie de l¡¯apaisement, se disant prêt à dialoguer avec toutes les parties pour éviter à la population un bain de sang. Lors de la messe dominicale ce 2 février, l¡¯archevêque de Bukavu a appelé son Église à travailler à la cohésion sociale. Pour l¡¯abbé Justin Nkunzi, directeur de la commission Justice et paix de l¡¯archidiocèse de Bukavu, c¡¯est la priorité absolue.
Lors de la messe célébrée en la fête la Présentation du Seigneur, votre archevêque, Mgr François Xavier Maroy Rusengo, a appelé les consacrés et les fidèles à la cohésion sociale. Qu¡¯entendait-il par là?
Concrètement, nous devons manifester des attitudes positives, ne pas céder aux manipulations, aux discours de haine, aux stéréotypes, mais rester toujours constants à la suite du Seigneur en accompagnant nos frères et s?urs dans notre vocation, en faveur de l'espérance qui nous a nourris depuis notre baptême.
Avez-vous l'impression que c'est un discours important aujourd'hui, alors qu'on sait que les combattants du M23 sont à une centaine de kilomètres de Bukavu?
Ce sont aussi nos frères et s?urs, et je ne sais pas s'ils ont aussi intérêt à ce qu'il y ait une effusion de sang dans cette partie du pays. Je pense que nous tous, nous voulons un changement mais pas au prix de sang versé. C'est pour cela que nous travaillons avec tout le monde: les hommes étatiques, les associations, la société civile, pour que nous puissions éviter un bain de sang et que les questions politiques soient traitées de manière politique et que les questions sociétales trouvent un espace de dialogue. Ça fait 30 ans que les gens souffrent ici. Nous en appelons à la responsabilité des uns et des autres pour éviter un bain de sang inutile. Aussi, aucune libération ne peut se faire sur le dos des cadavres, aucune libération ne peut se négocier dans les camps de réfugiés. Les mamans et les enfants, qui peuplent ces camps, sont les premières victimes de tout ce qui se passe. Ce sont toujours les enfants et les hommes qui meurent sur les champs de bataille. Ce sont toujours les femmes qui meurent, et dont les corps sont instrumentalisés. Aucune révolution positive n¡¯a besoin de sang pour survivre. Et nous souhaitons que cette sous-région que le Bon Dieu nous a donné soit véritablement une région où les gens puissent vivre ensemble.
L'Église a son discours. C'est un discours de réconciliation, un discours d'espérance. Maintenant, si le discours politique est piégé dans les intérêts des minerais, des ressources naturelles ou des intérêts géostratégiques, comme Église, nous ne savons pas faire. Nous pouvons seulement prier et demander à nos frères et s?urs de privilégier tout ce qui est de nature à éloigner la guerre, parce que la guerre n'a jamais résolu un problème dans la vie.
On sait à quel point l'Église est aussi présente pour porter concrètement secours aux frères et s?urs blessés, notamment via le réseau Caritas. Comment est-ce que l'Église de Bukavu peut s'organiser, d'abord pour se préparer à ce qui pourrait arriver sur place, mais aussi pour aider ceux qui ont déjà été victimes d'effusion de sang à Goma?
Il y a moins de dix minutes à vol d'oiseau entre nous et Goma. Nous sommes des frères et s?urs, nous partageons les mêmes réalités climatiques et sociologiques. L'Église de Goma, comme l'Église de Bukavu, fournit un effort extraordinaire au niveau des écoles, au niveau des hôpitaux. Si l'Église n'existait pas, qu'est ce qui existerait encore dans cette région? L¡¯Église joue un rôle de suppléance, comme au Moyen-Âge. Nos églises sont des lieux de refuge. Donc l'Église se mobilise, mais nous travaillons sous stress et nous ne voulons pas toujours travailler, en permanence, en aval, après conséquences.
Nous souhaiterions que l'Église n¡¯arrive pas toujours comme un sapeur-pompier, mais que nous puissions être là comme une Église qui accompagne, une Église qui va vers les périphéries, mais pas une Église qui va faire le décompte des morts. J'espère que le bain de sang et le traumatisme peuvent être encore écartés.
Le Pape a de nouveau appelé à prier pour la RDC dimanche dernier. Au delà de ses prières, qu'attendez concrètement de l'Église universelle?
Sans l'Église, sans la solidarité internationale, nous ne serions plus là. C'est pour cela que nous en appelons aux Églises s?urs du Nord. N'attendez pas seulement que les gens meurent pour dire que la Caritas aide. Nous souhaiterions qu'elles pèsent de leur poids pour que nous, qui sommes ici, nous puissions éviter de n¡¯avoir que des yeux pour pleurer, afin que nous ayons aussi des yeux pour vivre. Nous ne sommes pas nés pour enterrer nos morts mais pour vivre en abondance. Voilà mon espérance. A Bukavu, nous avons la peur au ventre, nous sommes débordés, mais nous sommes pleins d¡¯espoir. L¡¯espérance ne nous décevra jamais. Nous serons toujours une sous-région où tous veulent vivre en paix et en harmonie.
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