Roland Jacques, missionnaire au Vietnam aupr¨¨s des pauvres et des minorit¨¦s
Xavier Sartre ¨C Cité du Vatican
Le 25 janvier dernier, François publiait un message dans lequel il proposait une méditation autour du récit des disciples d¡¯Emmaüs. Le Saint-Père invitait les missionnaires à partir eux aussi avec des c?urs brûlants, les yeux ouverts, les pieds en marche pour annoncer l¡¯Évangile du Christ. En ce 22 octobre, journée missionnaire mondiale, nous vous proposons le témoignage du père Roland Jacques, oblat de Marie Immaculée. Après une carrière de professeur à l¡¯université Saint-Paul à Ottawa, au Canada, il est parti «le c?ur brûlant» et «les yeux ouverts» au Vietnam en 2010 pour épauler la jeune communauté oblate, présente depuis 2001. Il revient sur les multiples activités de sa congrégation.
Père Roland Jacques, comment est-on missionnaire dans un pays comme le Vietnam?
Nous ne sommes partis que quelques-uns au Vietnam et, à part moi, les autres étaient des Vietnamiens formés en France, des réfugiés. De ceux-ci, aujourd¡¯hui, un seul est encore avec moi. Notre mission, au début, était de réunir, de rassembler et de former des missionnaires oblats recrutés sur place. Nous n'avons pas essayé de renflouer les communautés vieillissantes de France. Nous avons décidé d'emblée de proposer la spécialité missionnaire des Oblats à l'Église du Vietnam et nous avons recruté des jeunes volontaires pour s'agréger à nous afin de servir au Vietnam. À cela, il existe quelques exceptions: nous avons actuellement, et depuis peu, quelques missionnaires vietnamiens à l¡¯étranger, mais ils sont encore très peu nombreux.
Les relations du Vietnam avec l'Église dans son ensemble ont souvent été assez complexes au cours de ces dernières décennies. L¡¯activité missionnaire s'en ressent-elle?
Les religions en général, et l'Église catholique en particulier, sont censées travailler dans le cadre des institutions civiles et politiques du Vietnam. Nous ne pouvons pas travailler en dehors des diocèses. Nous sommes liés intimement à la pastorale du diocèse. Cela ne nous gêne pas du tout, car c¡¯est ainsi que les Oblats conçoivent leur travail. Ceci dit, les missionnaires étrangers ne sont pas toujours les bienvenus. Il y a bien sur une évolution, mais encore lente. Lorsque j'ai commencé, on m'a d'ailleurs conseillé pour mes documents de séjour de ne rien mentionner de mon état de religieux. Dans la mesure où j'étais professeur d'université, ça n'a pas posé de problème. Pour les jeunes que nous avons recrutés, qui sont maintenant des prêtres, et qui ont aujourd¡¯hui entre 30 et 60 ans, la question se pose autrement. Nous avons commencé par les mettre à la disposition des diocèses qui demandaient notre présence. Nous les avons formés dans nos maisons de formation, par des prêtres ayant l'esprit missionnaire. Ils ont été envoyés dans les régions parmi les plus difficiles du pays. C'est un peu notre fierté. Grâce à cela, nous sommes maintenant présents dans sept ou huit diocèses, envoyés par l'évêque, dans les régions les plus démunies. Nous avons récemment reçu du diocèse de Kontum, la responsabilité d'une région où il y a des chrétiens, mais où il n'y a pas de structure, pas d'église et pas de résidence. Il n'y avait même pas de terrain disponible. Donc, notre mission était de nous débrouiller pour essayer de fonder une église sur place, dans un coin reculé du diocèse; une zone frontalière (non loin du Cambodge et du Laos, ndr) habitée par des minorités ethniques.
Nous nous sommes spécialisés pour la pastorale dans les régions montagneuse, auprès des minorités ethniques, mais pas seulement. Les régions de montagne ont été peuplées avec le "surplus" des camps de plaines rizicoles et où la population était beaucoup trop dense, suite à la mécanisation de la culture du riz. Les autorités ont relocalisé ces populations "excédentaires" sur des terres pauvres, dans les régions montagneuses où ils côtoient les minorités ethniques.
Le premier diocèse qui nous a invités, c'est celui de Hung Hoa dans le quart nord-ouest du pays. Là, nous avons rencontré trois générations de personnes relocalisées, parmi lesquelles beaucoup de chrétiens. Mais ils étaient sans prêtre et sans église. La première génération avait gardé ses traditions. La deuxième génération connaissait encore les prières et les rites pour les défunts. Quant à la troisième génération, elle se savait chrétienne sans savoir ce que cela voulait dire. Nous nous sommes retrouvés dans une situation qui correspondait exactement à l¡¯appel du fondateur des Oblats, saint Eugène de Mazenod, qui fut ensuite évêque de Marseille et qui avait fondé son groupe de prêtres missionnaires pour les campagnes déchristianisées, abandonnées pendant la Révolution française. Nous sommes donc allés au contact de populations vietnamiennes profondément déchristianisées.
Nous travaillons pour réanimer la foi dans ces populations plus jeunes, pauvres, qui travaillent dur pour que la terre produise. Nous travaillons aussi auprès des minorités ethniques, après avoir obtenu les autorisations officielles nécessaires. Donc nous, missionnaires venus de France, nous avons formé des jeunes qui sont partis à leur tour comme missionnaires dans les diocèses demandeurs.
Comment réévangéliser des populations déchristianisées?
Si nous restons sur l¡¯exemple du diocèse de Hung Hoa, il y a de petits groupes de chrétiens. Nous les visitons, nous travaillons avec des jeunes, nous réunissons des jeunes et cela fait toujours boule de neige. C¡¯est parfois très lent, mais ces communautés, dans la mesure où elles deviennent davantage vivantes avec leurs petites chapelles dans lesquelles on anime une chorale, cela attire les gens, des gens qui sont perdus, parce que lorsqu'on est déchristianisé au Vietnam, on n'a pas grand-chose à quoi se rattacher. Ces gens ne se sentent pas du tout bouddhistes, ni attirés par le bouddhisme. Nous attirons des jeunes qui perdent leur idéal, qui perdent leur avenir. Lorsqu¡¯il y a un groupe vivant de jeunes chrétiens, cela finit par attirer les copains, les copines et les amis des amis. Ce n'est bien évidemment pas massif, mais c'est un travail de longue haleine que nous réalisons également auprès des minorités ethniques, qui sont en général à la recherche d¡¯une identité religieuse. Les gens sont curieux de savoir ce que c'est la foi chrétienne dont ils ont entendu parler. Ainsi, nous avons pu construire des communautés qui ont rayonné, qui se sont multipliées et qui continuent à l'étranger aujourd'hui.
Quel est plus généralement le sens de la mission, à vos yeux?
Il y a une vision de l'Église que nous retrouvons chez beaucoup de prêtres vietnamiens. Le Vietnam a énormément de belles paroisses, bien organisées, avec beaucoup d'associations, des groupes de prière, etc. Ils adorent organiser de belles célébrations. Mais l'Église ne peut pas être que cela. Dans notre conscience missionnaire, comme fils de saint Eugène de Mazenod, nous ne pouvons pas nous contenter de cela. Nous savons qu'il y a, comme disait le fondateur, beaucoup d'âmes abandonnées, de nombreuses personnes en recherche de sens et qui ont besoin d'être accompagnées. C¡¯est pour cela que nous avons créé dans ce diocèse de Hung Hoa une petite ?uvre de charité. Cette ?uvre permet d¡¯impliquer des laïcs qui ne sont peut-être pas tous prêts à devenir missionnaires, dans le sens de missionnaires laïcs, mais tout à fait disponibles, au nom de leur foi, à faire quelques petits gestes de charité. Cette ?uvre de charité a remporté un certain succès. Un ou deux oblats accompagnent les laïcs, et elle est aujourd¡¯hui présente dans cinq provinces. Mais nous nous occupons aussi des malades, des personnes isolées, et nous avons pris en charge un orphelinat dans la grande banlieue de Saïgon. Tout cela rentre dans notre activité missionnaire.
Notre orphelinat a même reçu les honneurs de la télévision vietnamienne. Nous accueillons des enfants essentiellement issus de minorités ethniques, soit parce que leur famille est dans une telle misère qu¡¯elle ne peut plus s¡¯occuper d¡¯eux, soit parce qu¡¯ils n¡¯ont plus personne pour les prendre en charge. Et nous pouvons enseigner le catéchisme à ces enfants, qui bien sûr, suivent l¡¯école publique. Nous assurons ensuite le soutien scolaire avec la "bénédiction" des autorités. Le travail ne manque pas, ce sont les ouvriers de la vigne qui manquent! Mais cette année, nous avons donné cinq prêtres et quatre diacres à l¡¯Église.
Le Pape François ne cesse de répéter que l¡¯Église n¡¯est pas une ONG. Vous avez mis en place de nombreuses activités sociales. Comment ne pas devenir une simple ONG?
Le risque est évidemment présent. Mais notre petite ?uvre de charité composée de bénévoles, des chrétiens qui sont là parce que chrétiens, conscients de vivre leur foi à travers des gestes de charité. Ils ne s¡¯en cachent d¡¯aucune manière et célèbrent régulièrement leur foi, avec nous ou sans nous. Pour en revenir à notre orphelinat, ou foyer de jeunes, nous accueillons des garçons et des filles jusqu¡¯à 16 ans, et même au-delà lorsqu¡¯ils ne sont pas en mesure de subvenir seuls à leurs besoins, qui sont entourés de bénévoles et de quelques employés que nous pouvons rémunérer. Tous sont chrétiens et ils viennent aussi pour vivre leur foi, pour l¡¯affirmer. Les enfants le savent, tout comme le savent également les familles de ces enfants - pour ceux qui ont une famille. Nous célébrons quotidiennement la messe à laquelle les jeunes sont libres de participer. Nous enseignons le catéchisme à ceux qui veulent mieux connaitre le Christ, et ceux qui le souhaitent pourront demander le baptême. Ils sont dans un milieu chrétien, il n¡¯y a pas l¡¯ombre d¡¯un doute là-dessus, et nous proposons une éducation chrétienne. Cela nous démarque des ?uvres de bienfaisance sans référence religieuse.
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