Traite: une alliance strat¨¦gique pour prot¨¦ger les migrantes en Colombie
Felipe Herrera-Espaliat - Envoyé spécial en Colombie
Elle n'en a pas personnellement fait l'expérience, mais Susana (nom d'emprunt) a plusieurs amies qui se prostituent à Bogotà. «Je ne critique pas les femmes qui se trouvent dans cette situation. Mes amies font encore ce genre de choses parce qu'elles n'ont pas les moyens économiques de subvenir à leurs besoins ici, et aux besoins de leur famille restée au Venezuela. S'il y avait plus rapidement des opportunités pour elles...»
Aujourd'hui, des centaines de migrantes vénézuéliennes installées en Colombie se livrent à la prostitution, la plupart sous la contrainte. De puissants réseaux de trafiquants profitent de leur vulnérabilité pour les exploiter. Si le gouvernement de Gustavo Petro a régularisé un million des plus de 2 millions de Vénézuéliens réfugiés en Colombie, d'autres sont restés sans titre de séjour et sans travail. Pour eux, l'espoir d'une vie meilleure dans leur pays d'accueil s'est estompé rapidement.
Arrivée dans la capitale colombienne à l'âge de 13 ans, accompagnée de sa mère, Susana est aujourd'hui âgée de 18 ans, elle est maman d'un enfant de deux ans. Elle a connu la xénophobie, les discriminations, la précarité, mais on lui a aussi tendu la main, ce qui lui permet aujourd'hui d'envisager l'avenir avec espoir. Elle a été aidée par deux congrégations religieuses qui, de manière coordonnée, se consacrent à la protection et à la promotion des femmes.
À Bogotà, les s?urs de la Divine Volonté et les s?urs Adoratrices sont engagées dans les pastorales sociales de nombreuses paroisses, mais face à l'arrivée massive de migrantes et aux agressions croissantes qu'elles subissent, elles ont décidé de concentrer leurs efforts sur les femmes migrantes et les victimes de la traite, en leur offrant un soutien psychologique et une formation professionnelle. Selon les autorités locales, les violences de genre contre les Vénézuéliennes ont augmenté de 71% entre 2018 et 2020 en Colombie.
Pour s?ur Ilse Villamar de la Divine Volonté, cette initiative est une réponse aux défis posés par le Saint-Père face à l'abomination de la traite des êtres humains: «Comme nous y exhorte le Pape François, nous devons ?uvrer en faveur de la vie, contre ce fléau qui blesse l'humanité toujours davantage, qui prive les victimes de leur personnalité et les laisse dans le néant».
Permettre aux femmes de se reconstruire
Le premier et principal défi consiste en effet à apporter une aide à ces femmes pour leur permettre de se reconstruire après des expériences traumatisantes qui les ont minées jusqu'à la moelle. «Les femmes, quand elles arrivent ici, se sentent sales. Elles ont l'impression de ne rien savoir faire. Elles pensent qu'elles ne peuvent pas et ne savent pas faire autre chose que se prostituer. Ce sont donc des femmes qui, sur le plan psychologique, ont besoin de soutien, de croire en elles-mêmes», explique la religieuse.
Parallèlement à la reconstruction personnelle, les deux congrégations aide ces femmes à régulariser leur statut et s'investissent dans leur réinsertion, en leur offrant des formations professionnelles pour entrer dans le monde du travail. Les s?urs Adoratrices se consacrent depuis plusieurs décennies à la formation au travail et à l'esprit d'entreprise. À Bogota, elles disposent d'un centre de formation et d'une usine qui produit des vêtements de haute montagne depuis quarante ans et qui accueille les femmes suivant une formation de couturière.
Les congrégations en lien avec le secteur privé
S?ur Rosa Helvia Vaquero des Adoratrices a favorisé les contacts avec le secteur privé, profondément convaincue que les communautés religieuses doivent travailler en réseau. «Une entreprise favorise l¡¯emploi et permet aux femmes de sortir de leur situation, d'ouvrir de nouvelles voies et de vivre d'autres expériences. Et pour qu'elles aient cette qualité de vie, qu'elles puissent vraiment se défendre, nous devons rêver et créer des entreprises», dit la religieuse.
La coopération systématique entre les s?urs de la Divine Volonté et les s?urs Adoratrices et leur connexion croissante avec le marché du travail, a été encouragée par le Global Solidarity Fund (GSF), une organisation caritative née sous la direction du Pape François et dont la mission est de faciliter les accords entre le secteur privé, les organisations de développement social et les communautés catholiques. Ainsi, le GSF a lancé un «Social Innovation Hub» en Colombie et dans d'autres pays, une initiative qui découle de la prise de conscience que les résultats des programmes d'impact social sont plus efficaces lorsque les communautés religieuses travaillent de manière coordonnée, en s'organisant et en planifiant, apportant ainsi le meilleur d'elles-mêmes, chacune selon son propre charisme.
Susana a pu bénéficier de cette initiative et progresse aujourd'hui vers son autonomie. Elle a reçu une solide formation technique dans le domaine de la santé. Elle souhaite maintenant élargir ses compétences, car elle sait que la vie lui réserve des défis encore plus grands, surtout depuis qu'elle est devenue maman. Elle n'a pas encore décidé si elle allait poursuivre ses études d'infirmière ou se consacrer à l'étude du design, mais elle n'a pas l'intention de s'arrêter. «Je dois avancer avec mon projet de vie, car je sais que je peux apporter une contribution à la société, une contribution à ma famille, et être un espoir pour d'autres femmes», conclut-elle, reconnaissante pour tout ce qu'elle a reçu.
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