Riche d'un pass¨¦ f¨¦cond, l'?glise de Qu¨¦bec dans une p¨¦riode de purification
Entretien réalisé par Delphine Allaire ¨C Cité du Vatican
Prémice d¡¯une évangélisation riche et fructueuse, un prêtre français accompagnant l¡¯expédition de l¡¯exploration Cartier célèbre une première messe sur les rives de la péninsule gaspésienne, dans ce qui devient la Nouvelle-France. La colonisation débute ensuite avec la fondation de la ville de Québec en 1608 et de Ville Marie, aujourd'hui Montréal, en 1642. La Nouvelle-France aura vécu 229 ans avec le statut de Vice-Royauté de France, correspondant à une période de fastes dans l¡¯épanouissement de la foi avec un essaim de congrégations religieuses. Un élan coupé par l¡¯intermède britannique et anglican sous Georges III, avant que Québec ne retrouve sa ferveur catholique et romaine dès 1841, lorsque l¡¯Acte d¡¯Union octroie une reconnaissance légale complète à l'Église au Canada.
L¡¯Église québécoise contemporaine contraste donc avec sa vitalité passée, un demi-siècle de sécularisation ayant creusé son sillon, mais selon le père Gilles Routhier, théologien et professeur à l¡¯Université de Laval, il ne s¡¯agit rien de moins qu¡¯un retour «à une Église plus pauvre, une Église des marges» correspondant à sa vocation initiale, celle annoncée par le Christ montant à Jérusalem.
Dans quelle mesure l¡¯Église catholique occupe-t-elle un rôle central dans l¡¯histoire du Québec?
Elle a effectivement tenu ce rôle à différentes époques mais pas de manière continue. En particulier après la Conquête lorsque toutes les élites militaires, les gouverneurs, détenaient des sauf-conduits pour rentrer France. Il y a d'abord eu un régime militaire, suivi du régime britannique après le Traité de Paris (1763). Ainsi, comme élites canadiennes françaises ne restaient plus que des hommes et femmes d¡¯Église réellement désireux de demeurer au Québec. Les dirigeants de la société étaient alors des ecclésiastiques. La situation a changé ensuite. Après 1840 et le pacte confédératif, la responsabilité des soins de santé, des services sociaux, de l¡¯éducation, revenait aux provinces. Or, pour toutes sortes de raisons, il y a une absence d¡¯État, et l¡¯Église occupe donc un rôle de suppléance important durant un peu plus d¡¯un siècle. Jusqu¡¯aux années 1960, l¡¯Église québécoise était littéralement «au four et au moulin», responsable de ce qui normalement relève de l¡¯État. Puis, l¡¯État québécois a souhaité récupérer ces prérogatives, si bien que la suppléance de l¡¯Église a cessé.
Le catholicisme demeure-t-il aujourd'hui lié à l¡¯identité québécoise? L¡¯héritage d¡¯un certain catholicisme français des origines est-il encore présent?
Le catholicisme est toujours lié à l¡¯identité québécoise, mais la défense de cette identité a été prise en charge à partir des années 1960 par l¡¯État québécois. Avant, planait une confusion entre être catholique et francophone, soit la langue défend la foi, et réciproquement. Cette période est terminée. Des personnes étaient attachées à l¡¯Église seulement pour des questions d¡¯identité -et elles sont importantes-, mais la foi ne s¡¯y résume pas. Il y a véritablement une option de foi à faire. Nous sommes sortis de la confusion entre les identités croyantes et l¡¯identité canadienne française.
Comment qualifier la foi des Québécois d¡¯aujourd¡¯hui?
C¡¯est une foi éprouvée. Nous entrons dans une période de purification de l¡¯Église. Une purification décapante, éprouvante, loin d¡¯être finie. En conséquence, nous allons certainement vers une Église beaucoup plus pauvre, une Église discréditée, une Église des marges. Est-ce une situation dramatique? Elle fera assurément souffrir, mais je pense que c¡¯est la condition de l¡¯Église même. De mon point de vue, ce qui fut le plus ardu dans la montée du Christ à Jérusalem est de faire comprendre aux apôtres qu¡¯il allait souffrir et mourir. Ils ne l¡¯ont compris qu¡¯après la Résurrection, ils ont mis un temps infini. Même sur le chemin d¡¯Emmaüs, le Christ le leur reprochera: «Vous n¡¯avez donc pas compris que le Messie allait mourir?» C¡¯est la même chose pour l¡¯Église. Nous comprenons difficilement ce qui est en train d¡¯arriver.
Comment les catholiques québécois s¡¯insèrent-ils aujourd¡¯hui dans ce Canada progressiste qui verse dans la cancel culture, telle que le Pape la dénonce? Ont-ils un rôle prophétique à jouer?
Je répondrais avec une catégorie de Vatican II: l¡¯Église est le sacrement du salut, c¡¯est-à-dire qu¡¯elle est un signe dans cette société. Comme disait Christian de Chergé, l¡¯important n¡¯est pas de faire nombre, mais c¡¯est de faire signe. Parfois, nous confondons les deux, en pensant que nous devons faire nombre. Espérons que l¡¯on comprenne que nous devons faire signe. Je ne sais pas si le Canada est une société progressiste, cela peut se discuter, mais dans cette société, l¡¯Église a clairement une contribution à faire, de la même manière que par le passé, mais autrement. Elle a une mission pour ce pays.
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