?Le rite za?rois de la messe exprime la catholicit¨¦ et l¡¯africanit¨¦?
Entretien réalisé par Stanislas Kambashi,SJ - Envoyé spécial à Kinshasa, RDC
Prêtre de l¡¯archidiocèse de Kinshasa en République démocratique du Congo, l¡¯abbé Michel Libambu est spécialiste des Pères de l¡¯Eglise et official au dicastère pour le Culte divin et la discipline des sacrements. Dans une interview à Radio Vatican-Pope, il décrit la genèse du rite «zaïrois» de la messe, ainsi que certaines particularités comme l¡¯invocation des ancêtres au début, l¡¯assemblée assise pendant la proclamation de l¡¯Évangile, la musique vivante et les danses.
Quel est le contexte historique du rite «zaïrois» célébré suivant le «Missel Romain pour les diocèses du Zaïre»?
Ce rite a une histoire, fruit du travail de l¡¯évangélisation missionnaire depuis la première évangélisation par les Portugais jusqu¡¯à la deuxième évangélisation par les missionnaires belges. Dans cet élan, il convient de noter deux documents importants: celui du Pape Benoît XV, qui par la lettre apostolique Maximum illud, du 30 novembre 1919, en citant Mc 16, 15, donne des recommandations aux missionnaires, en leur demandant de ne pas apporter l¡¯Europe dans leurs missions, mais l¡¯Évangile. Cet Évangile doit être prêché avec soin et en profondeur pour atteindre l¡¯âme des peuples; ce qui est une perspective de l¡¯inculturation, déjà amorcée à partir de Rome.
Puis le Concile Vatican II, principalement avec le document Sacrosanctum Concilium, qui a souhaité vivement que la liturgie soit plus proche des peuples, avait déjà défini l¡¯iter à suivre (SC, 40), c¡¯est-à-dire comment procéder pour que la liturgie soit adaptée à la vie, au génie du peuple.
Après le Concile, les évêques du Zaïre (ancien nom de la RD Congo) se sont mis à relire tous les documents du Concile dont Lumen Gentium, Gaudium et Spes, Sacrosanctum Concilium, pour pouvoir en examiner la possibilité d¡¯application et d¡¯adaptation dans le contexte du pays. Il y a eu les «Semaines Théologiques» à la faculté de théologie de l¡¯Université Lovanium. La conférence épiscopale du Zaïre a déposé déjà en 1969, directement après la publication du Missel Romain au lendemain de Vatican II, l¡¯ébauche du Missel réadapté pour la célébration de la Messe suivant le génie congolais, sous l¡¯instigation du cardinal J. Malula, qui avait été nommé membre de la Commission liturgique préparatoire du Concile Vatican II par le Pape Jean XXIII.
Le projet a été présenté à la congrégation pour le Culte divin et la discipline des dacrements. Après près de 20 ans de dialogue, d¡¯échanges et d¡¯études, on est passé du Missel ad experimentum (5 juin 1974) avec des moments d¡¯évaluation, au Missel définitif accepté par Rome (30 avril 1988); un document qui devait refléter non seulement l¡¯africanité, mais aussi la romanité. C¡¯est pourquoi on l¡¯appelle «Missel Romain pour les diocèses du Zaïre». En cette même période, à Kinshasa, avait lieu le synode diocésain, quelques années avant la mort du cardinal Malula.
Parlant de la structure de la messe, la célébration suivant ce Missel obéit aux deux grandes parties: la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique. Mais il y aussi beaucoup de particularités: l¡¯invocation des ancêtres au début, l¡¯assemblée assise pendant la proclamation de l¡¯Évangile, la présence des «Nkumu», l¡¯annonciateur et bien d¡¯autres. Comment expliquez-vous cette structure et toutes ces particularités?
Ce Rite est essentiellement dans le cadrage de la Messe Romaine, avec deux grandes parties, la table de la Parole de Dieu et la table eucharistique. Mais elle a aussi quelques particularités suivantes: la procession d¡¯entrée avec chants et battements des mains selon le rythme des chants, l¡¯invocation des ancêtres, le chant de gloria avec danse autour de l¡¯autel pour exprimer le Christ qui est représenté par l¡¯autel, la pierre vivante et qui maintient l¡¯équilibre dans notre vie et dans notre société, l¡¯acclamation de l¡¯Evangile avec procession pour accueillir le Christ qui parle. On écoute l¡¯Évangile en étant assis, en signe de respect et de vénération pour le Christ qui parle. C¡¯est seulement après la prédication qu¡¯on a le Kyrie: la conception est que l¡¯on peut se convertir après avoir écouté la Parole de Dieu, lumière qui nous éclaire pour voir ce qui doit être corrigé pour retrouver la paix avec le Seigneur et la communauté.
La célébration (geste) de la paix vient après le Kyrie. On exécute un chant pour la paix. Dans la deuxième partie c¡¯est surtout les acclamations, la préface propre et la doxologie chantées dans les mélodies selon le génie de l¡¯âme africaine. Les «nkumu» sont des ministres, symboles de la sagesse, les anciens du peuple autour du prêtre.
Une autre particularité est la musique vivante et les danses. Que dire de ces aspects et des différences avec le rite latin?
La musique fait partie de la vie des hommes, elle fait partie de notre structure intérieure, comme le reconnait saint Augustin dans De Musica. Dans beaucoup de traditions africaines, les événements étaient rythmés par la musique, qui a plusieurs facettes: la fête, le deuil, la naissance. Le rythme musical accompagne la liturgie. La danse fait également partie de ce que l¡¯homme a de plus profond en lui. Chanter et danser expriment l¡¯harmonie. Le psalmiste dit que David a dansé pour Dieu. La musique touche notre humanité, les sentiments: la joie, la tristesse, et bien d¡¯autres. La culture devient le tamis pour modifier la musique que nous avons dans notre âme.
L¡¯ancrage culturel est fortement marqué dans cette liturgie. Que pouvez-vous dire à ce sujet?
L¡¯ancrage culturel vient de la recommandation des Souverains pontifes et du Concile Vatican II pour que la Parole de Dieu puisse pénétrer dans l¡¯âme des peuples dont la culture est le miroir. L¡¯idée n¡¯était pas de créer une liturgie culturelle. On est parti de la théologie de l¡¯Incarnation: le Christ Dieu devenu homme pour valoriser notre humanité afin de la diviniser. On reste convaincu de la symbiose entre la divinité et l¡¯humanité (théandricité), selon la théologie de la divinisation des Pères grecs.
L¡¯Évangile purifie la culture (évangélisation de la culture) et la culture se manifeste dans l¡¯Évangile (inculturation de l¡¯Évangile). Mais la culture est seulement un tamis par lequel l¡¯humanité s¡¯exprime. Ce qui est important, c¡¯est notre humanité que le Seigneur est venu sauver et revaloriser. Le problème reste l¡¯interprétation des gestes, qui peuvent varier d¡¯une culture à une autre.
Comment pouvez-vous évaluer les conséquences de cette manière de célébrer sur la vie culturelle et sociale des Congolais?
Quand on lisait les documents du Concile Vatican II, on a mis un accent particulier sur Gaudium et Spes: la joie et les espoirs des peuples sont aussi ceux de l¡¯Église. Les évêques congolais pensaient alors à leur société: dans quelle mesure la foi célébrée dans la liturgie peut avoir l¡¯impact sur la vie quotidienne. Si l¡¯on a prêché le pardon à la messe et qu¡¯après l¡¯acte pénitentiel on s¡¯est converti jusqu¡¯à saluer, on doit vivre ce pardon dans son milieu.
La liturgie congolaise de la messe est réputée pour sa vitalité. Qu¡¯est-ce qui fait cette vitalité?
La philosophie bantoue, selon les études des spécialistes comme le père Placide Tempels ou l¡¯abbé Vincent Mulago, l¡¯Africain considère la vie comme un don de Dieu, qui a mis en chacun le don de la force vitale (en théologie, on parlerait de la «grâce») pour vivre et promouvoir la vie en communauté. En ce sens, l¡¯Église est une famille. La messe est la célébration du don de la vie que Dieu nous a donné, surtout pendant le chant du Gloria.
En recevant les professeurs de l¡¯Institut de liturgie Saint Anselme, le 7 mai 2022, le Pape François invitait à travailler sur la liturgie pour le peuple de Dieu. On dirait: lex orandi, lex credendi doit être complétée par la lex vivendi. Une liturgie trop formaliste ne vitalise pas. La liturgie n¡¯est pas seulement un cours, mais elle est avant tout la vie des croyants qui prient.
On reproche à la manière de célébrer la messe suivant le «Missel Romain pour les diocèses du Zaïre» d¡¯être «très longue»...
Nous pouvons nous trouver ici face à deux notions du temps: le chronos et le kairos, l¡¯opportunitas, qui est le temps liturgique. L¡¯au-delà auquel nous croyons est donné en prélude dans la liturgie. Cela n¡¯empêche que l¡¯on puisse réglementer le temps.
La messe suivant le «rite zaïrois» a deux formes: forme simple et forme solennelle. Elle peut être célébrée entre 1 heure et 1 heure 30. Pendant l¡¯Avent et le Carême, elle est plus sobre. Il appartient à l¡¯ordinaire de lieu de régler la liturgie contre les exagérations. Mais, il faut aussi ajouter que ce rite est seulement célébré une fois la semaine, à la messe principale des paroisses le dimanche à 6h30 (première messe). Après, les autres messes se célèbrent normalement comme ici à Rome: la messe des enfants à 9h00, la messe à la latine à 11h00 ou la messe du soir à 18h30. Il y a possibilité de choisir la messe qu¡¯on veut.
Quel serait votre mot de la fin?
Ce rite n¡¯est pas le produit de laboratoire, mais de la vie de l¡¯Église pour exprimer la catholicité et l¡¯africanité. Pour le comprendre, il ne faut pas seulement lire les livres mais faire une immersion dans le contexte africain, où l¡¯Église est d¡¯abord perçue comme «Famille de Dieu», selon l¡¯inspiration du Concile Vatican II dans Lumen Gentium III, 27. On peut dire que c¡¯est le modèle ecclésiologique inspiré du modèle patristique qui est à la base de ce rite. Il faudrait partir de plusieurs émissions pour le comprendre.
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