Rachel Kitsita, Actu30 et la presse congolaise
Jean-Pierre Bodjoko, SJ ¨C Envoyé spécial à Kinshasa
Elle avait presté dans une chaîne de télévision de son pays avant de créer il y a de cela une année, son propre organe de presse, Actu30. Actu30, c¡¯est l¡¯actualité en trente minutes pendant les trente jours du mois. Les informations traitées par Actu30 sont aussi publiées en ligne (https://www.actu-30.info/). Les thèmes abordés par Actu30 sont d¡¯ordre général, focalisant sur la politique, car selon Kitsita, c¡¯est ce qui « détermine un peu le tout, avec un accent sur les faits de société ». Cette dame pleine d¡¯énergie aime bien effectuer des descentes sur terrain pour des reportages de proximité. Mais l¡¯Actu30 traite aussi de l¡¯économie, du sport, etc.
La santé de la presse privée en RD Congo
Il n¡¯est pas évident d¡¯?uvrer dans la presse privée en République démocratique du Congo. Pour Kitsita, l¡¯environnement socio-politique dans son pays ne favorise pas vraiment les médias en général, que ce soit pour les médias publics, ou pour les médias privés. « Déjà que ce n¡¯est pas facile d¡¯accéder à l¡¯information », clame-t-elle. Financièrement, la presse congolaise n¡¯a pas de modèle économique. Et cela pose problème, car on fait la presse sans argent, selon la Directrice générale d¡¯Actu30 qui estime que cela a des conséquences négatives sur le fonctionnement et l¡¯objectivité des médias. « C¡¯est un terrain glissant sur lequel parfois il faut s¡¯accommoder ». Kitsita fait noter que ce sont des politiciens qui détiennent de l¡¯argent. Et cela influence beaucoup le traitement d¡¯information pour les journalistes.
Vie d¡¯un journaliste privé
La presse est plurielle à Kinshasa, soutient la responsable d¡¯Actu30. Il y a (ceux) des journalistes qui vivent de leur métier et se retrouvent. Mais pour d¡¯autres, c¡¯est difficile de lier les deux bouts du mois. « Si vous arrivez à trouver des annonceurs et que vous avez de l¡¯espace dans votre presse, vous gagnez en compensation ». Cela dépend aussi du sérieux de la presse ou du journaliste. « Ceux qui sont consciencieux évitent aussi d¡¯avoir un grand nombre de collaborateurs » pour ne pas affronter les charges sociales. « En tout et pour tout, Actu30 a 13 collaborateurs ».
Les annonceurs qui s¡¯imposent
Depuis la libéralisation de l¡¯espace médiatique en République démocratique du Congo, le nombre des titres, des radios, des télévisions a sensiblement augmenté. La ville de Kinshasa à elle seule compte plus de 60 chaînes de télévisions. De ce fait il y a une grande concurrence. Et les annonceurs en profitent pour imposer le prix de publicité. « C¡¯est la faute aux journalistes ou aux médias », tonne Kitsita qui se pose des questions sur l¡¯origine de ces médias et leurs objectifs. « La loi de 1996 qui fixe l¡¯exercice, la liberté, en fait les modalités de l¡¯exercice de la presse en République démocratique du Congo a été très large pour donner l¡¯opportunité à tout le monde de créer un média. Et donc, puisque tout le monde peut créer un média en République démocratique du Congo, et c¡¯est beaucoup plus des politiques aussi qui ont des médias, cela veut dire que c¡¯est juste les instruments de campagne, des instruments de propagande. Il y a donc peu de médias créés par des journalistes pour diffuser l¡¯information », s¡¯indigne la Directrice générale d¡¯Actu30. Pour elle, « concernant les annonceurs, puisque c¡¯est pluriel, puisque vous avez devant vous 200 chaînes de télévision, alors c¡¯est le moins offrant que l¡¯annonceur va chercher, c¡¯est avec celui qui demande moins que l¡¯annonceur va faire un contrat ». Cependant, pour Kitsita, « quand vous êtes un média sérieux et suivi, quand vous êtes un média responsable, les annonceurs finissent toujours par vous suivre ».
La place de la femme dans les médias congolais
La grande partie des médias congolais, d¡¯après Kitsita, est composée de femmes. Elle précise cependant que cette majorité quantitative ne garantit pas la qualité de leur rendement.
« Nous (femmes) ne travaillons pas beaucoup sur la qualité, sur le contenu. On est resté sur la forme », estime-t-elle.
Le système « coupage » et « moutons noirs »
Il y a une habitude répandue dans le journalisme congolais : le « coupage ». Ailleurs on appellerait cela « pot de vin » : après une interview, la personne interviewée vous donne de l¡¯argent pour votre ¡®transport¡¯, pour votre ¡®carburant¡¯. « Ce système arrache l¡¯objectivité même du journaliste. Ça vous coupe tout, car la personne de laquelle vous recevez le ¡®coupage¡¯ vous dicte sa volonté et le contenu. Elle vous prend votre indépendance. Vous devenez redevable. C¡¯est cette personne qui travaille à votre place. Sauf qu¡¯elle n¡¯est pas journaliste. Ça tue le journalisme », s¡¯indigne Kitsita qui trouve qu¡¯il faudrait combattre ce système par la paie normale du journaliste, selon sa production et sa qualité, pour mériter le ¡®quatrième pouvoir¡¯. Et pour la promotrice d¡¯Actu30, il faudrait en outre combattre les moutons noirs qui s¡¯insèrent dans le métier du journalisme par infraction. Il faudrait qu¡¯au niveau du parlement, on modifie la loi qui fixe les modalités et l¡¯exercice de la liberté de la presse en République démocratique du Congo. Le statut même du journaliste pose problème, soutient-elle. « Chez nous, la loi définit un journaliste comme celui qui récolte l¡¯information, la traîte, la diffuse, et vit de ce travail », s¡¯explique-t-elle, avant d¡¯ajouter que n¡¯importe qui (elle parle même de grand-mère) peut se réveiller un matin, et commence à récolter l¡¯information, la traiter, la diffuser, et se retrouver avec un partenaire qui lui paie 10 dollars, il devient journaliste. « Et les médias en ligne favorisent ces genres de pratiques », selon Kitsita. « Il y a de bons journalistes, des médias crédibles, mais ils sont noyés par beaucoup de moutons noirs qui salissent l¡¯image de la presse », se plaint-elle. « Il faudrait donc modifier, à travers une loi, le statut du journalisme en République démocratique du Congo ».
Perspectives d¡¯avenir pour la presse congolaise
La patronne d¡¯Actu30 rêve des médias libres, indépendants dans son pays où elle ne voudrait plus entendre parler de journaliste arrêté ou assassiné dans l¡¯exercice de leur métier. Il faudrait en outre dépénaliser les délits de presse, sans oublier l¡¯adoption d¡¯une loi portant sur l¡¯accès à l¡¯information.
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