Pour M. Raymond Ranjeva, le racisme est un concept de discrimination (Part 1)
Jean-Pierre Bodjoko, SJ ¨C Cité du Vatican
Parmi les intervenants à cette conférence sur la xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste, il y avait M. Raymond Ranjeva, président de l¡¯académie malgache, ancien vice-président de la Cour internationale de justice, ancien Recteur de l¡¯Université d¡¯Antananarivo et professeur de droit international et de science politique à la même université.
Dans son intervention, M. Ranjeva a abordé plusieurs aspects en rapport avec les thèmes de la conférence, indiquant au départ qu¡¯il ne pouvait rester indifférent quand l¡¯Afrique est mis à l¡¯index s¡¯agissant de migration globale. Nous essayons de livrer ici, l¡¯essentiel de ses arguments, en essayant de respecter son raisonnement. Les lignes qui suivent sont donc une propriété intellectuelle de M. Ranjeva mais nous assumons la présentation journalistique.
De prime d¡¯abord, l¡¯ancien vice-président de la Cour internationale de justice a indiqué que la corrélation entre les concepts de xénophobie, racisme et nationalisme populiste évoque un problème politique diffus : rapporter la cause des maux de la société à un groupe identifiable à qui en imputer la responsabilité. La migration soulève un problème de sécurité et peut susciter l¡¯hostilité qui favorise les confusions intellectuelles : assimilation de la xénophobie au racisme, confusion entre préférence nationale, xénophobie et racisme. Le droit à l¡¯identité nationale, un droit naturel, a été dévoyé pour justifier racisme et exclusion de l¡¯étranger.
La dimension globale des migrations contemporaines rend obsolètes les règles traditionnelles. Elle soulève des questions cruciales concernant entre autres la solidarité familiale ou nationale, le capitalisme spéculatif, les inégalités économiques extrêmes, les guerres, les menaces à la dignité de l¡¯homme, la sauvegarde de la création. Ces questions non détachables les unes des autres sont des paramètres qui interagissent et se renforcement mutuellement en système politique. Toutes ces variables doivent être traitées toutes ensemble dans le respect du principe de la subsidiarité et de celui du holisme . Il faut changer donc la vision et les valeurs qui sont à la base du système et accepter de prendre des risques dans une triple audace : oser penser, oser parler et oser agir.
La première caractéristique des migrations contemporaines est la dimension quantitative dont les chiffres donnent le vertige . La notion de migration de masse est admise dans la langue courante et a un sens opératoire avec les images qui lui sont associées. L¡¯évitement du droit en est la deuxième caractéristique : irrégulière car contraire au cadre juridique de l¡¯Etat incapable d¡¯assurer le respect des règles et des formalités requises, condamné à pratiquer le pilotage à vue au mépris des droits de l¡¯homme et des principes de la libre circulation des personnes. L¡¯hétérogénéité des personnes ou groupes qui sont qualifiés comme relevant de cette catégorie est la dernière caractéristique. Elle est décrite comme tout déplacement « impliquant un changement de lieu de résidence habituelle quelles que soient leur cause, leur composition, leur durée » .
Trois dangers y sont associés: la brutalité et la cruauté, la convoitise et les atteintes aux patrimoines, et enfin, le désir effréné. La conséquence est la subversion avec la remise en cause de la sécurité, la tranquillité et l¡¯ordre publics ainsi que la préférence nationale.
La violence et l¡¯arrogance des propos et le succès des partis nationaux-populistes s¡¯expliquent en partie par l¡¯absence de convention internationale qui encadre la migration et celle de masse. La question donne lieu à des polémiques aux niveaux diplomatiques les plus élevés en raison des enjeux politiques qui sont en cause : enjeux sur l¡¯homme lui-même et enjeux de pouvoirs.
Les enjeux sur l¡¯être ou le devenir de l¡¯Homme, individu vivant en société, représentent le principal des enjeux dans la migration globale contemporaine. Deux aspects sont à évoquer : rejet du migrant et ignorance du migrant parce que pauvre.
La politique du rejet des immigrés représente un aspect du refus de la mondialisation et du multilatéralisme et illustre le retour du souverainisme. Pour refuser l¡¯admission malgré le principe de la liberté de circulation et d¡¯installation, les Etats opposent les coûts inhérents à l¡¯intégration. Faute d¡¯une marchandisation des valeurs liées à l¡¯immigration, la dimension sociale de la mondialisation passe par pertes et profits et la notion de village global humain est réduite au rang de pétition de principe. La fonction résiduelle attribuée à la notion de migration de masse est révélatrice du refus de reconnaître l¡¯intérêt à accorder aux migrants: faute d¡¯intérêt pour leur, pas d¡¯action en leur direction. Sans intérêt pour le marché, les migrants sont voués à l¡¯errance et condamnés à renoncer à vivre.
Pour la justification de ces choix on a recours au racisme dont la théorie a une triple dimension:
Idéologique en se fondant sur une scientificité ; ensuite perceptive en construisant un mode de perception et de relation avec l¡¯autre et enfin pratique dans un cadre institutionnel de domination. A défaut de bases biologiques, le racisme est une construction sociale déconnectée de toute considération scientifique. Il est une idéologie pour la justification de la domination d¡¯un groupe sur les autres pour la défense de l¡¯injustice liée à la discrimination par la race. Le génocide représente l¡¯ultime sommet de l¡¯idéologie raciste. L¡¯extranéité et la fragilité de la situation des migrants les désignent quasi-naturellement à subir les effets pervers de la politique raciste.
L¡¯ignorance du migrant parce que pauvre affecte directement sa personne. Elle est concrétisée par son exclusion du monde normal au besoin par des barrières matérielles, d¡¯ailleurs toute une activité économique profitable en assure l¡¯effectivité. Ce monde de misère, de pauvreté, de brutalité, par nature transitoire et provisoire, ne permet pas l¡¯instauration d¡¯activités économiques ; mais la pérennisation de la situation ne facilite pas pour autant l¡¯insertion des migrants dans une dynamique de développement. Un monde sans espoir ni pour les migrants ni pour les responsables publics entretient un sentiment général d¡¯impuissance. La conséquence est la banalisation des man?uvres pour la survie et le recours à la soumission aux pires conditions de l¡¯exploitation et formes de domination. Aucune voix pour oser les défendre et sauver car inconnus parce que pauvres donc sans espérance et sans ressources même pour survivre.
Cet état de chose a une répercussion directe sur les flux de migration. Les démographes, de l¡¯INED en France, ont largement atténué l¡¯angoisse consécutive à la thèse de l¡¯invasion des Afro-européens : une hausse oui mais non une invasion. Contrairement aux phantasmes des clichés, l¡¯immigration en Afrique ne s¡¯oriente pas vers les pays où ils se savent non accueillis l¡¯Europe (15%), Pays du Golfe et l¡¯Amérique du Nord (15%) ; la majorité se dirige à 70% vers un autre pays africain, lui aussi déjà écrasé par ses soucis. Une conclusion se dégage : la recherche d¡¯un accueil « fraternel » à l¡¯Africaine ou tout simplement la reconnaissance de sa dignité de frère. Ce refus du mirage du progrès pose une question de fonds : les pays développés n¡¯ont-ils pas intérêt à sécuriser leur confort et acquis en partageant avec les Africains plus humains envers les migrants ?
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